[Baalar Nelge'Kales] Non, il n'a pas fuit...

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Baalar
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[Baalar Nelge'Kales] Non, il n'a pas fuit...

Message par Baalar » ven. févr. 01, 2019 11:12 am

Musique
Ambiance

Une erreur... mère... une erreur...
Ailes déployées, éveillée à une puissance.
Un choix... un doute... face à eux, elle lui demande de faire confiance, de leur faire confiance...
Face à eux... eux qui ont essayé tant de fois de le tuer, de les séparer...
Confiance...
Il ne comprend pas, il n'y arrive pas.
Les mots claquent d'une violence sans égale déchirant l'âme aussi facilement qu'une badine cingle et tranche une peau tendre.
Spectateur impuissant d'un théâtre qui se joue. Désarmé face à ce groupe qui se reforme et qui ne veut pas de lui... n'a jamais voulu de lui... le rejetant aussi facilement qu'on se déleste d'un caillou dans une chausse.
Confiance... comment pourrait-il ?
Comment peut-elle lui demander pareille chose... ?
Les dés sont jetés, au creux de ses tripes, il le sent, il le sait. Son temps est révolu.


Je t'attendrais...

Il a attendu.
Dans l'ombre, présent, toujours présent.
Jour après jour, s'enfonçant dans la folie, entraîné dans un engrenage vertigineux.
Il essaie de comprendre.
Du temps... elle a besoin de temps...
Alors il attend.
Il est là.
Tous les jours, pendant des mois.

Le fil de la lame glisse sur l'anthracite, redessinant les contours de ses cicatrices qui s'ouvrent à nouveau, plus profond, toujours plus profond.
Parce que c'est la seule chose qui lui donne l'impression qu'il est encore en vie.
La douleur comme une drogue.
Ce besoin, cette chaleur.
Parfois il entre dans une furie bestiale, détruisant tout ce qui l'entoure, se défoulant sur ce qu'il peut.
En ruine, le manoir devient le reflet de sa raison.

Il n'a jamais eu aussi mal... faut que ça s'arrête... mère... faut que ça s'arrête...

Les jours, les semaines, les mois défilent.
Les offrandes, chaque jour.
Les boucheries pour calmer sa fureur.
Et la douleur pour espérer trouver ce réconfort, retrouver la chaleur, ce semblant de bras qui l'enveloppent.

Il se raccroche à la seule chose qui lui reste.
Son violon...
Instrument qui ne le quitte plus, qu'il traîne partout.
N'arrivant à s'endormir qu'en l’étreignant, se berçant tel un autiste perdu dans la démence qui devient sa seule compagne.

Plus les semaines passent, plus sa drogue se fait violente, extrême.
S'arrachant avec les ongles la paume de sa senestre, cherchant à effacer cette marque qui le lie à elle.
Elle, qui ne veut plus de lui...
Marque qui se grave inexorablement ailleurs.
Lambeaux de peau qui se déchirent. Jeu aussi absurde que destructeur.
Là... et là... elle revient, encore et toujours, comme le souvenir de ce moment où il leur a fait face... à tous les trois...
Elle revient cette foutue marque, elle revient... elle revient... il revient ce souvenir... il veut oublier, il veut ne plus y penser.
Il hurle, arrache, mord à pleines dents et lacère ce corps qui, à force, ne sent, ne ressent plus grand chose.

Ce corps, où s'impose de plus en plus, cette chose en lui qui s'est animée le jour où ils ont passé le vortex.
Cette chose qu'il partage avec sa fille... non... la sienne... elle n'est pas à lui, elle ne l'a jamais été.
Et plus il s'entaille, plus il va chercher cette douleur ultime. Cette souffrance qui se mue en plaisir infini, proche, si proche de la mort. Comme en équilibre au bord du gouffre. Sensation hallucinante, tourbillonnante, sensation d'abandon total. Ne plus penser, ne plus avoir à y croire, ne plus avoir à espérer...
Et plus il se laisse aller, plus l'encre prend possession.
Ses yeux définitivement noirs, sa peau se parchemine de stries qui pulsent.
Elle est son bouclier, elle l'a toujours été, mais à quel prix...?
Son cœur manque souvent de se rompre, proche, si proche de lâcher prise.
Mais il tient, parce qu'il lui a promis qu'il attendrait.

Il attend, et chaque jour, il va plus loin encore.
Renvoyant les dragons de peur de perdre la raison et de leur faire du mal.
Seul Tuwo reste, accompagné de Kestal, sa wyvern.
Ils veillent, spectateurs impuissants de la déchéance de leur maître sombrant, malgré lui, dans la folie.

Une nuit, s'écorchant presque totalement le bras, l'encre s'impose et le recouvre entièrement, telle une manche.
Penchant la tête de côté, il observe le phénomène.
C'est chaud, apaisant, même si ça brûle comme un acide, c'est là, avec lui, c'est là...
Alors il va plus loin, toujours plus loin pour voir ce qu'il se passera. Lâchant inconsciemment la bride à la chose en lui.
Chose qu'il avait appris à museler. A présent, elle ferait ce qu'elle voulait de lui.

Des offrandes encore.
Et puis une nuit de carnage. Esclaves, femmes, hommes, enfants. Il avait passé ses nerfs sur eux avec une fureur et un sadisme rare. Et quand tous furent démembrés, il ne fut pas rassasié.
Besoin d'oublier.
Besoin de se sentir vivant, au moins un peu.
Sentir son cœur battre.
Sentir... juste sentir quelque chose.
A force, de sensation il n'avait plus vraiment.

Dans quelques jours, elle aura un an...
Un an...
Depuis combien de temps ne l'avait-il pas vu ?
Elle n'était pas à lui...
Pas à lui...
Et c'est en se tranchant, se scarifiant, s'arrachant la peau qu'il se répète ces mots.
Pas à lui... pas à lui...
Se balançant d'avant en arrière, ses poings en sang fermés sur son crâne, serrant comme un damné ses cheveux.
Il halète, le souffle court, le cœur pulsant à tout rompre.
Il hurle à s'en casser les cordes vocales.
Et dans un élan délirant, plus capable de regarder la vérité en face, cette vérité, plus capable... plus capable... il glisse ses doigts à ses paupières.
En transe, il fouille en tremblant dans ses propres orbites, s'énucléant, arrachant ses yeux, témoins de ce qu'il ne supporte plus de voir.
Hurlant de nouveau, non pas de douleur mais de rage de ne pas avoir assez mal pour occulter l'autre douleur.
L'autre douleur...
Cherchant comme un aveugle, ses doigts maculés de sang et de chair trouvent l'instrument.
Tremblant, se balançant toujours d'avant en arrière, il le prit délicatement contre lui et l'enserra dans ses bras, comme il le ferait si elle était là.
Si elle était là...

Trop, trop loin, il est allé trop loin.
Son cœur manqua un battement. Éructant, pris de nausée, il vomit de la bile aussi noire que la chose en lui.
De nouveau un battement. Dans un bruit sourd brisant le silence de sa solitude, il s'effondra sur le côté, gardant toujours contre lui, le violon de son Autre.
Son Autre... quelle prétention d'avoir cru être son égal. Quelle arrogance d'avoir imaginer pouvoir marcher vraiment à ses côtés...
Son cœur hoqueta comme un moteur en mal de carburant.
C'est alors que de tous les pores de sa peau, une encre aussi épaisse que du pétrole suinta, le recouvrant entièrement.
L'enveloppant dans un linceul noir, il n'était plus qu'un tas, posé là, dans une mare de sang, de boue, de chair et de tripes.
Le silence s'imposa.

C'est après plusieurs jours sans changement que Kestal et Tuwo se décidèrent.
Elle s'approcha et pris dans ses serres le cocon noir qui s'était formé, et d'un battement d'ailes, elle prit son envol.
C'est dans une petite grotte, au bord d'une rivière, non loin d'une maison abandonnée, que les deux dragons décidèrent de déposer la chose.
Cachée dans un recoin de la grotte, ils veillèrent là, attendant.


Musique

An ache so deep
That I can hardly breathe
This pain can’t be imagined
Will it ever heal

All I could do
Was keep believing
Was that enough


C'est après plusieurs mois que la chrysalide s'agita lentement. Coquille molle. Une main collée à la paroi, des doigts qui finissent par la déchirer. Et comme un nouveau né, il s'extirpe de sa gangue poisseuse, tenant toujours l'instrument d'une main.
Après un long moment, il fini par se lever difficilement, se tenant à la roche, sortant en titubant de la grotte.
Il plissa les paupières à la lumière du soleil haut dans le ciel.
Fronçant les sourcils, hésitant et tremblant, ses doigts maculés d'une substance visqueuse vinrent effleurer ses yeux.
Aurait-il halluciné ?
Dans sa démence, rêvé ce qu'il s'était infligé ?
Quelle importance ?
Posant son regard sur le violon, il inspira profondément.

C'est après plusieurs jours qu'il se décida à retourner à Onyx.
Premiers réflexes, premier jour, le temple, une offrande.
Au manoir, ses yeux noirs balayèrent la scène putride des corps décomposés. Scène obscène de sa déchéance.
Encore quelques jours de passés et il revint.
Cette fois-ci, il la croisa.
Un salut.
Un sourire.
De l'indifférence en retour.

Fatigué... il était fatigué de tout ça...
Prenant sa carte, c'est vers la lumière qu'il alla.
Qu'espérait-il y trouver ?
Ce pardon qu'elle leur avait accordé à eux, mais pas à lui ?
Une solution, une résolution en tout cas, quelle qu'elle soit.

Il lui fit face.
De nouveau ces accusations...
Non, il n'avait rien fait, rien.
Il avait juste essayé d'expliquer, et il avait été pointé du doigt.
A quoi bon ?
Il ne chercha pas davantage à s'en défendre, de toute manière, son sort était déjà scellé.
On le condamne à mort sur des suppositions, mais ça n'ébranle personne que deux anges soient sacrifiés en pleine place d'Onyx.
Non... ce n'est pas pour ce qu'il a prétendument fait qu'on veut sa tête, mais pour ce qu'il est.
Il est quoi ?
Lui...
Simplement... lui...

Il n'est pas assez humain. Trop ce qu'il ne devrait pas être. Trop... beaucoup trop...
Pas assez dans le moule, pas assez modelable.
Gênant...

Il s'attendait à être face à lui, face à ses accusations et que tout se finisse.
Mais il est allé la chercher.
Apparemment, ça ne suffisait pas qu'il se livre.
Autant lui faire mal le plus possible.
Enfonçant une lame chauffée à blanc dans ce qui lui reste de raison.


Tu veux être tué par qui ?
Shandril ?
Keaghan ?
Azen ?
Ta fille ?


Toi...
C'est ce qu'elle lui avait promis, mais ce simple mot, il n'arriva pas à le prononcer.
Incapable, dans sa stupidité, de lui imposer de faire ça. Voulant encore sans doute la protéger.
Comme si ça avait la moindre importance pour elle...

Non, il ne comprenait pas comment il aurait pu faire confiance à ceux qui voulaient de toute manière sa disparition...
Non... il ne comprenait pas.
Mais ce qui lui fit comprendre que de toute manière, tout était joué c'est quand elle lui claqua qu'il avait fuit.
Fuir... ?
Non... jamais, jamais il n'avait fuit.
Il était resté là, il avait essayé de tenir bon, de supporter l'insupportable. Il avait essayé...
Il avait essayé...
Elle avait pris sa décision. Elle était mieux sans lui de toute façon. Il s'était toujours demandé comment il pouvait mérité d'avoir été à ses côtés. Remerciant chaque jour sa Déesse de ce cadeau, finalement éphémère...
Elle trancha et se détourna, oubliant sa promesse.
Même ça, elle ne lui offrira pas.
Qu'avait-il pu lui faire pour qu'elle le haïsse à ce point... ?

Et c'est sans la quitter des yeux, alors qu'elle s'éloignait qu'il entendit, plus qu'il ne sentit, la flèche de Shandril se loger dans sa poitrine.
Il comprit seulement vraiment à cet instant là qu'il l'avait véritablement perdu.
Abruti qu'il avait pu être d'avoir à ce point espéré et attendu.
S'effondrant sur le marbre de sa prison, ses yeux rivés sur le plafond qu'il ne voyait plus vraiment.
L'encre visqueuse suinta de ses pores, bouclier, cherchant à protéger cette vie finalement inutile.
Il sourit, alors qu'un souvenir revint à sa mémoire.
Il revivait ce jour de novembre où après une nuit d'une violence extrême, le premier cri d'une petite vie avait retentit dans une maison, isolée dans la campagne.
Il revivait ce jour de novembre où il avait mis leur fille dans ses bras. Leur fille... sa fille... oui... sa fille à lui aussi...
Il revivait ce jour... la regardant, dévorer des yeux ce petit être qu'elle n'avait jamais cru pouvoir un jour tenir tout contre elle.
Il revivait ce jour... et il reprit le contrôle sur la chose noire qui l'enveloppait. Lentement, elle disparu, comme absorbée par sa peau anthracite.
Il lâcha prise...
Oui, cette fois-ci, elle pourra dire qu'il a fuit, qu'il a abandonné, imposant à la chose de rester terrée au creux de ses tripes.
Il revivait ce jour, et il souriait, heureux d'avoir pu lui offrir au moins ça.

Il ne ferma pas les yeux quand la lame de lumière du bourreau s'abattit, mettant fin définitivement à sa vie, à ses souffrances.

Au loin, dans les plaines des terres de Shilen, un dragon noir se mit à hurler comme si on venait de lui planter une dague en plein cœur.

Finalement, il mourut comme il était né et avait vécu... seul et méprisé de tous...
Image
"Peu me chaut votre gloire, je veille déjà une légende."
Mon écho...

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