... C'est que ton ennemi n'est pas loin

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Eveara
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... C'est que ton ennemi n'est pas loin

Message par Eveara » sam. déc. 29, 2018 7:16 pm

Eveara ouvrit les yeux. La meule de foin sur laquelle elle s'était assoupie n'avait pas bougé d'un iota. Le soleil, lui, était sur le point de se coucher.
Combien de temps ai-je dormi ?
Elle s'étira avec précaution, mais ses articulations protestèrent quand même. Ces temps-ci, elle avait de plus en plus l'impression que du sable s'était malignement introduit dans chacune de ses jointures.
Tu vieillis.
Un sourire sarcastique naquit sur ses lèvres pâles. Ce constat n'avait rien d'une nouveauté. Elle ramassa son registre, tombé à terre lorsque le sommeil l'avait saisie sans prévenir, puis cligna plusieurs fois des yeux. Ses paupières frottèrent douloureusement sur ses globes occulaires, asséchés par l'air poussiéreux du fenil.
D'abord, du thé.
Non sans effort, elle se mit debout. Ses mains se mirent à trembler. Elle se souvenait avoir gagné le bâtiment en début de matinée, pour y faire l'inventaire des stocks de fourrage. Puis, plus rien.
La léthargie a dû me prendre juste après mon arrivée.
Soudain, elle se sentit chanceler, et grimaça. Le Sybarite l'avait prévenue. Elle avait passé trop d'années à dépendre d'une robustesse extrinsèque. Le sevrage serait long... Très long. Et surtout, terriblement pénible. La léthargie n'en était que le premier symptôme.
J'espérais avoir plus de temps.
D'un pas mal assuré, elle quitta le fenil et prit la direction du Bureau, en prenant soin de raser les murs. Quand elle vacillait trop, ceux-ci lui fournissaient un appui bienvenu, lui évitant de s'affaler comme une loque sur le pavé de la Cité Orientale. Une fois arrivée a destination, elle s'effondra d'un seul coup, à bout de souffle, sa peau cadavérique luisant de froide transpiration.
Je n'arriverai pas à me relever sans m'évanouir.
Cette observation, factuelle, l'agaça. Mais c'était une complication mineure, facile à contourner. Pantelante, elle se tourna sur le côté pour pouvoir accéder à la poche cousue à l'intérieur de son bliaud. De celle-ci, elle extirpa un étui en cuir qu'elle entreprit tant bien que mal d'ouvrir. Ses doigts, crispés, tremblaient de plus en plus.
Je connaissais les conséquences.
Un dernier effort, saccadé, défit les lanières de l'étui, qui s'ouvrit brusquement. De longues feuilles d'un gris-vert luisant se répandirent sur le sol. D'un geste malhabile, Eveara en saisit une, qu'elle plaça sur sa langue. Puis elle se laisser aller sur le dos, les bras le long du corps, et ferma les yeux.
Sois lucide. Tu ne résouds rien.
Peu à peu, sa respiration se calma. Sa peau reprit une couleur à peu près normale. Au bout d'une dizaine de minutes, elle se redressa d'un mouvement fluide, et commença à ramasser le thé éparpillé sur le sol. Ses mains ne tremblaient plus.
Tu ne fais que remplacer une dépendance par une autre.
Une fois les précieuses feuilles de thé à l'abri dans leur étui, Eveara alla se vautrer dans l'un des fauteuils qui meublaient la pièce. Le Sybarite l'avait aussi avertie qu'il était très possible qu'elle soit restée dépendante trop longtemps, et qu'elle ne survive pas au sevrage. Elle n'avait pas eu la force de lui expliquer qu'elle comptait bien ne pas en arriver là.
J'ai pris la bonne décision.
Maintenant, tout ce qu'il lui fallait pour parvenir à ses fins, c'était du temps. Qu'elle n'avait plus. Et du thé. Qui ne durerait pas éternellement. A cause du sevrage. Foutu cercle vicieux. Mais elle finirait bien par trouver un moyen.
Comme les Noctambules ? Eux aussi avaient 'trouvé un moyen'...
Elle éclata d'un rire rauque, amer, s'étouffant à demi avec la feuille de thé qu'elle n'avait pas encore recrachée. Une quinte de toux la plia un moment en deux, avant qu'elle ne parvienne à reprendre son souffle. Une fois calmée, elle éprouva l'envie de se saouler.
Si Ashel'Aeran me voyait, il en crèverait de rire. S'il n'était pas déjà mort, bien sûr.
Elle se souvenait de ce qu'il avait dit, juste avant que sa fausse déesse ne lui arrache la colonne vertébrale. Ton ennemi n'est pas loin. Les derniers mots qu'il avait prononcés. Juste avant que...
Elle se crispa. Redressa la tête, puis les épaules. Elle avait pris la bonne décision. Mais pour gagner la guerre, elle avait accepté de perdre la seule bataille qui comptait vraiment. Désormais... peut-être que sombrer dans la léthargie, en fin de compte, c'était la meilleure fin possible.
Parce que ton ennemi n'est jamais loin.
Si en te grattant les testicules, tu t'en découvres soudain quatre...
C'est que ton ennemi n'est pas loin !

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