Just stay with me... [BG Hoela]

Modérateur : Shi

Répondre
Avatar du membre
Hoela
Messages : 75
Localisation : Quelque part dans les montagnes suisses

Just stay with me... [BG Hoela]

Message par Hoela » mer. avr. 04, 2018 9:37 pm

Dévotion améthyste

Les aboiements des chiens guidaient la troupe de soldats dans des bois si denses qu’il en devenait difficile de progresser. La truffe dans les végétaux, ils ne se laissaient pas décourager par la pluie torrentielle qui se déversait sans discontinuer depuis le levé du soleil. L’orage qui grondait n’arrangeait en rien les affaires des chercheurs qui n’y voyaient pas à deux mètres. Mais loin de se décourager, ils continuaient d’avancer motivés par les cris désespérés de parents prêts à raser les lieux si la manœuvre pouvait leur rendre leur fille.

Soudain, le cor résonna, intimant le silence à tout un chacun. Un bref instant de flottement durant lequel les esprits se recentrèrent sur leur objectif et où les plus audacieux se mirent même à espérer. Avant que ne reprenne la marche, tous lancés tête baissée en direction de ce chant lancinant qui pouvait annoncer le meilleur, comme le pire.

A la mine renfrognée qu’affichait le petit groupe qui formait une barrière de sécurité pour empêcher la famille d’approcher de la scène, la Matriarche sut que c’était la fin. D’un ton impérieux, elle leur intima de s’écarter pour qu’elle puisse passer, les poings serrés et le cœur battant la chamade. Lorsque le rideau d’armures et d’épées s’écarta, ce fut pour dévoiler le corps sans vie de la nourrice, reposant sur un mélange infâme de boue, d’eau et de sang. Egorgée, elle affichait ce regard triste de ceux qui se savent condamnés après avoir lourdement fauté. Et dans ses bras, un linge à l’origine d’un blanc immaculé renfermait un petit corps sans vie et mutilé. A peine reconnaissable, on n’en devinait que ce qu’elle avait pu être autrefois. Comble de l’horreur, ses yeux avaient été arrachés, comme si l’assassin avait souhaité faire passer là un ultime message aux Baenarm. Car celui qui avait fait ça savait forcément. Il savait à quel point la petite Alyerel était précieuse. Il savait que ce qui la rendait unique et inestimable, c’était ce regard améthyste qu’elle posait sur le monde avant qu’il ne le lui arrache. La mère hurla à s’en déchirer les cordes vocales, alors que son époux tentait tant bien que mal de l’extirper du cercle de soldats qui s’était formé tout autour d’eux, l’éloignant de force de cette scène cauchemardesque. De la rage, de la peur ou de la douleur, on ne sut vraiment ce qu’exprimait le visage de la Dame à cet instant précis.

La mort de l’Elue allait au-delà du crime crapuleux et ses conséquences seraient bien plus importantes que le chagrin de deux parents.

Le cortège se remit alors en route, emportant avec lui les corps et tout ce qui aurait pu servir d’indice. Faisant un détour, les Baenarm prirent soin cependant d’abandonner celui de la nourrisse dans la fosse commune où les charognards se délecteraient de ses restes. Non sans avoir maudit son âme et recommandé à Shilen une punition exemplaire pour la traîtresse. Certains murmurèrent qu’il valait mieux pour elle qu’elle n’ait pas été retrouvée vivante, la famille n’étant pas réputée pour sa clémence et son sens du pardon. Mais tous s’accordaient à se demander ce qui avait pu la pousser à fuir la demeure en enlevant la petite fille. Que lui avait-on promis en échange ? Ou avait-elle simplement essayé de sauver l’enfant d’un mystérieux assassin ? De sa propre famille ?

Les parents eux ne chercheraient même pas des réponses. Seul la peur obnubilait désormais leurs pensées. Celle d’un avenir qu’ils pensaient tout tracé et qui risquerait fort de ne jamais exister. Car tout ce qu’ils avaient, ils ne le devaient qu’à une chose, l’enfant qu’ils sacrifiaient à chaque génération selon les rites ancestraux de leur peuple. Des pratiques abolies chez la plupart des familles mais qui perduraient au sein de cette Maison de renom. Sans Alyerel, la tradition serait brisée, entraînant indubitablement la chute de toute la famille. Car Shilen n’aimait guère qu’on déroge aux règles et n’offrait ses privilèges et sa protection qu’à une poignée de privilégiés dont ils ne feraient bientôt plus parti. Seul espoir, avoir un second enfant aux yeux améthystes.

Mais avant de penser à la remplacer, la famille était bien décidée à lui rendre les derniers hommages qui lui étaient dues, prêts à la pleurer avant d’affronter plus soudés que jamais les tempêtes qui promettaient de s’abattre sur eux.
Image
signature by Baabar

Avatar du membre
Hoela
Messages : 75
Localisation : Quelque part dans les montagnes suisses

Re: Just stay with me... [BG Hoela]

Message par Hoela » mer. avr. 04, 2018 9:50 pm

Le collectionneur

A des kilomètres de là, traçait à toute allure une calèche noire comme la nuit, tirée par deux chevaux de grande valeur qui semblaient inépuisables. Se dirigeant vers le sud du continent, ceux qui avaient le malheur de croiser sa route ne pouvaient que s’écarter, bien conscient qu’elle ne s’arrêterait pour rien au monde. A l’intérieur, le velours rouge donnait un effet luxueux et confortable à un moyen de transport tout sauf agréable. Assis silencieusement l’un en face de l’autre, les deux voyageurs n’échangeaient pas même un regard ou un simple mot. Le premier, un humain, était avachi à contre-sens, les yeux fixés sur la petite fenêtre qui lui dévoilait le paysage extérieur. La balafre sur son œil et la dague à sa main dévoilaient sans équivoque sa fonction de guerrier et protecteur. Sur l’autre banquette, Rafaël avait une tout autre allure. Ses longs cheveux blancs, sa peau entre le bleu pâle et le blanc et ses yeux d’un vert intense donnaient quelques indices sur sa nature mi-sylvestre, mi-sombre. Ses vêtements en soie, son maintien haut et distingué ne laissaient quant à eux aucun doute sur le fait qu’il était le Maître à bord. A la fois resplendissant et terrifiant par ce mélange tout à fait contre-nature qu’il incarnait, il portait toute son attention au petit paquet en tissus rouge qu’il serrait fort contre lui. Ainsi emmailloté, ne dépassaient du linge que quelques mèches de cheveux et un petit bout de nez qui frétillait doucement à chaque fois qu’il en caressait l’arrête du bout des doigts.

Le bébé dormait paisiblement, bercé par les battements sourds de son cœur alors qu’il ne pouvait cesser de l’admirer. Des mois à mettre au point cet enlèvement, à trouver le moyen de l’arracher à ce destin qu’il ne trouvait que trop funeste. Comment pouvait-on ne serait-ce qu’oser penser à tuer un être si beau et si pur ? Une merveille de la nature qu’il s’était juré de sauver et protéger jusqu’à son dernier souffle. Peu importait le prix à payer. Guettant son réveil, il ne tenait plus en place, impatient qu’il fût de plonger ses yeux dans le violet surnaturel qui se cachait derrière ces paupières. Car c’était là les joyaux de cet être hors du commun.

Dans sa bourgade, on ne l’appelait pas le collectionneur pour rien. La différence, il en avait fait sa force et plus tard son commerce, au point que sa réputation n’était plus à faire des kilomètres à la ronde. Issu d’une famille bourgeoise, son père, un elfe loin des clichés de sa race, avait fauté avec une sombre au détour d’un bordel de Giran, la mettant en cloque et se retrouvant ainsi avec pour seul héritier une erreur de la nature. Incapable d’obtenir un enfant de son épouse légitime, il avait fini, la mort dans l’âme, par sortir de son trou infâme cet indésirable pour l’élever en digne successeur. Tentant ainsi par tous les moyens de faire oublier au reste du monde, et plus particulièrement à la Dame de la maison, les stigmates de son adultère qui jonchait le visage du petit garçon. Mais personne n’était dupe et son physique hors norme était sujet à toutes les moqueries et toutes les méchancetés.

Si jusqu’à un certain âge, il en avait eu honte, une fois adulte et plus mature il avait compris que ce serait ainsi qu’il parviendrait à se faire un nom. Ne plus jamais être le fils de… devenir quelqu’un, de fort et respecté. Pourquoi pas craint.

De son aptitude à commercer, négocier et charmer, il avait vite pris le goût de l’argent et du pouvoir que cela lui rapportait. Son goût pour le différent, le bizarre et l’atypique se développa ainsi à mesure que sa fortune grandissait, lui permettant d’acquérir autant d’objets étranges qu’il le souhaitait. Si on disait de son salon qu’il était un véritable cabinet de curiosité, on ne s’imaginait alors pas à l’époque que cette passion dévorante se transformerait en une obsession déviante. Car des objets, il passa aux êtres vivants, scrutant en chaque passant, chaque homme et chaque femme si une différence l’interpellait assez pour le séduire.

Le premier qui en fit les frais fut un homme à la peau dépigmentée. Ses cheveux blancs, sa peau blafarde et son aspect fantomatique lui plurent immédiatement, au point qu’il n’hésita pas à proposer au malheureux de l’argent pour l’acquérir, comme on achète un tableau ou un bon vin. Lui proposant le gîte et le couvert, à la seule condition qu’il s’exhibe auprès de ses invités lorsqu’il le jugerait nécessaire, il ne s’attendit pas le moins du monde à un refus sec et sonnant. Mais le jeune homme n’était pas de ce genre-là, refusant de céder sa liberté à un illuminé pour jouer les bêtes de foires. Alors Rafaël le prit de force. Et il en alla ainsi pour tous ceux qui suivirent.

La calèche se stoppa net devant le portail d’un immense domaine, au beau milieu de la campagne floranaise. Le balafré sortit le premier, inspectant les lieux avant qu’on n’ouvre la grille pour faire entrer le véhicule. A l’intérieur, Rafaël gazouillait avec la petite fille, comme un père l’aurait fait avec son propre enfant. Subjugué, ivre de bonheur, plus rien d’autre n’existait que sa merveille des merveilles. Lorsque la porte s’ouvrit enfin devant la bâtisse, il descendit délicatement, la petite toujours lovée contre sa poitrine. L’attendaient quelques domestiques bien dociles qui ne s’offusquèrent même pas devant la nouvelle trouvaille de leur maître. Au contraire, ici on connaissait parfaitement la chanson et on était mis au parfum avant même son engagement. Le secret absolu, une discrétion à toute épreuve mais surtout la loyauté jusqu’à la mort. Ou un châtiment à la hauteur de la faute. Alors on attrapa le sac de voyage, les vêtements sales et on s’inclina bien bas jusqu’à ce que les deux voyageurs aient rejoint le salon. Installé confortablement dans un grand fauteuil de velours bleu roi, le Maître fit signe à la meneuse de ces dames. Une seule inquiétude, la chambre était-elle prête ? La jeune femme opina, un peu mal à l’aise. C’est qu’on n’aimait pas particulièrement monter au dernier étage ou même évoquer cet endroit maudit, car tout le monde savait ce que cela signifiait. La majorité n’approuvait pas, mais Rafaël était un maître bon et généreux. La plupart gagnaient ici le double de ce qu’ils pourraient espérer ailleurs. Le prix de leur silence.

Guilleret lorsqu’elle lui annonça que le lit était installé et le biberon de l’enfant prêt à être servi, il donna ses dernières recommandations au balafré qui eut tôt fait de les transmettre à toute la maisonnée. Le domaine comptait une nouvelle habitante et pas des moindres. Interdiction formelle de s’en approcher, d’avoir le moindre contact avec elle ou même d’oser la regarder de loin. Elle était l’exclusive propriété de l’elfe et quiconque outrepasserait ses droits se verrait purement et simplement congédié. Ou pire. Rafaël n’avait jamais été aussi strict, alors tous comprirent à quel point la nouvelle pièce de la collection du Maître était précieuse.

Dans l’excitation, il aurait pu monter les escaliers deux à deux mais s’abstint de toute pirouette afin de ne pas mettre en danger la petite qui souriait dans ses bras. Les trois étages franchis, ne restait qu’à passer la lourde porte de marbre qui donnait sur sa salle d’exposition. Il l’avait fait aménager sur mesure, selon ses souhaits et ses propres croquis. Il avait dépensé sans compter, prêt à tout pour s’offrir le musée le plus phénoménal de tout le continent.

La lourde porte passée, l’on débouchait sur un long et large couloir où se déroulait un tapis d’orient aux couleurs chatoyantes, avec ça et là des petits fauteuils permettant aux visiteurs de s’installer confortablement. De chaque côté, deux chambres jumelles composées d’une première cloison avec une porte cadenassée, une seconde commune les séparant, mais surtout une baie vitrée offrant une vue complète de ce qui s’apparentait finalement à de luxueuses cages. Pour seule intimité, était disposé à l’intérieur un paravent avec derrière les sanitaires et de quoi se laver. Ainsi, Rafaël pouvait venir admirer à son bon vouloir ses protégés, les regarder vivre et mourir pour son simple bon plaisir. Un privilège dont il usait et abusait à chaque fois que les cages se remplissaient de nouveaux spécimens.

Aujourd’hui, personne n’y habitait plus depuis des mois, le Maître ayant fait place nette pour sa future acquisition. La petite fille aurait tout le loisir de vivre et grandir dans la plus grande tranquillité, mais surtout dans la solitude la plus totale. Conscient que c’était là le seul moyen de la garder sous sa coupe, il entendait bien devenir son seul repère, son unique amour. Persuadé qu’il ne se lasserait jamais de ce regard violacé, il avait tout prévu. Il l’élèverait comme l’aurait fait un père, puis la marierait une fois qu’elle serait en âge de porter son enfant. Un héritier hors du commun, il en aurait mis sa main à couper. Mais pour l’instant, le petit être n’avait besoin que d’un bon bain et un biberon de lait chaud. Quelques jeux et une belle histoire avant de s’endormir.

Avant de fermer les yeux, Alyerel devint Hoela, et le collectionneur fut enfin comblé et entier.
Modifié en dernier par Hoela le jeu. avr. 05, 2018 12:08 pm, modifié 1 fois.
Image
signature by Baabar

Avatar du membre
Hoela
Messages : 75
Localisation : Quelque part dans les montagnes suisses

Re: Just stay with me... [BG Hoela]

Message par Hoela » mer. avr. 04, 2018 9:52 pm

Sauve et ignorante

Dix ans, vingt ans, trente… ou même quarante. Comment savoir vraiment ? En ces lieux, le temps n’avait pas d’emprise et Rafaël ne semblait jamais vraiment vieillir. Hoela en revanche était passée du stade de petit nourrisson à celui de petite fille espiègle avide de musique et de piano. C’est tout naturellement qu’il lui avait donc offert un instrument et lui avait appris patiemment à en jouer. Puis à l’adolescence, elle avait décidé que ce serait la peinture, alors ensemble ils avaient installé toiles et pinceaux pour reproduire les œuvres préférées de l’elfe. A chaque âge, sa passion, son obsession, ses apprentissages. En enseignant bienveillant et en père attentif, il faisait tout pour la contenter et surtout l’occuper. Les journées pouvaient être très longues, seule dans cette chambre étriquée, alors Rafaël redoublait toujours d’ingéniosité afin de lui faire oublier sa solitude.

Contre toute attente, il s’était même convaincu que lui montrer quelques bribes du monde extérieur ne pourrait que la préparer à la vie qui l’attendrait plus tard à ses côtés, comme épouse et mère d’une descendance destinée à un grand avenir. Alors, une fois certain de la déchéance du clan Baenarm et que personne ne pourrait la reconnaître, il lui offrit une fois par année une balade à Gludio. Lui, martelant que ce monde était cruel et dangereux ; elle, l’écoutant comme s’il avait parole d’évangile. Main dans la main, ils passaient la journée au soleil, se délectant de ses rayons avant de filer se remettre à l’abri dans leur si doux foyer. Hoela adorait ces moments passés dehors, mais les craignait tout autant, la peur instillée par les récits de son maître trouvant échos en elle plus encore que les sourires pourtant avenant des passants. Tout lui semblait hostile, hypocrite, dangereux. Hormis les rayons du soleil et la caresse du vent sur sa peau. Si le monde avait été dépeuplé, elle en aurait été ravie. Mais ce n’était là que douce rêverie, alors c’était toujours soulagée qu’elle retrouvait son cocon rassurant.

Mais il fallait se rendre à l’évidence, plus les années passaient et plus le poids de l’ennuie prenait une place considérable dans leur quotidien. Cependant, Rafaël ne se sentait pas encore prêt à la partager avec le reste de l’univers, gardant au fond de lui cette crainte qu’on ne la lui enlève. Le moment n’était pas encore venu pour eux de s’afficher au monde, il le ressentait tout au fond de ses tripes. Restait à prendre une décision. Depuis deux semaines déjà, le balafré lui parlait d’un jeune sans abris qui traînait à la cité. Un paria rejeté pour une différence qui attisa la curiosité du collectionneur en sommeil depuis trop longtemps. Une magnifique tâche de naissance d’un rouge sombre qui lui recouvrait le dos. Sa forme en particulier faisait craindre aux simples d’esprits qu’il ne soit l’engeance d’un quelconque démon, le croissant de Lune n’ayant jamais eu très bonne presse.

Son ami le disait laid et très simple, mais il serait peut-être une distraction suffisante pour Hoela, tout du moins temporairement. D'autant qu'avec ses affaires qui l'accaparaient sans cesse depuis quelques temps, ce serait une façon de ne pas laisser Hoela s'enfermer dans sa solitude lorsqu'il ne pourrait être auprès d'elle. Bien entendu, l’idée de posséder un être si particulier finit de le convaincre de se laisser tenter.

Lorsqu’il fut le plus vulnérable, Rafaël envoya son homme de main s’occuper de la négociation, puis de l’éventuelle capture. Vu la sauvagerie du garçon, le balafré dut employer les grands moyens et c’est ligoté de toute part que le jeune Sergueï fut présenté à son nouveau maître. Loin d’être docile et coopératif, l’orphelin s’employa à se rebiffer autant que possible jusqu’à ce qu’on le jette dans sa nouvelle cage avec grand fracas. Sortie de son sommeil par le bruit et les cris, la jeune fille avait regardé la scène sans en comprendre les tenants et aboutissants. Horrifiée de savoir qu’une autre personne allait logé à deux pas d’elle, elle avait supplié de longues minutes Rafaël de la garder auprès de lui, loin de l’importun. Bien que surpris et rassuré par sa réaction, il n’en fit rien, lui promettant simplement qu’elle s’habituerait et que le garçon comblerait son ennuie et l'aiderait à appréhender l'extérieur de façon plus sereine. Son premier pas vers une vie peut-être plus libre. Même si l’idée de ne plus avoir à rester enfermée l’enchantait, côtoyer les autres restait une véritable épreuve qui la terrifiait. Rafaël lui avait dit tant de mal du "dehors" et de ceux qui y vivaient, qu’il lui était difficile d’accepter de leur donner ne serait-ce qu’une chance.

Leurs chambres respectives n’étant pas l’une en face de l’autre, elle ne pouvait qu’entendre le garçon tournoyer comme un lion en cage. Il laissait de temps à autre s’échapper quelques jurons bien sentis, complètement révolté de ce qu’il venait de subir. Quand il se fut enfin calmé, il s’assit près de la vitre et tapota contre comme pour tester sa solidité. Après un long soupire ponctuant sa réflexion, il s’adressa enfin à elle, lui demandant simplement depuis quand elle était prisonnière. Ne comprenant pas la question, elle ne répondit pas. Face à ce silence, Sergueï tenta une approche un peu différente. La voix doucereuse, le ton amicale, il lui posa des questions simples comme son prénom, son âge et depuis quand elle vivait ici. Lentement, il la mettait en confiance afin de comprendre qui était sa compagne de galère. Une alliée ? Ou une potentielle ennemie ? Il n’en crut pas ses oreilles lorsque la sombre lui expliqua le plus innocemment du monde qu’elle était ici depuis toujours. Sa fraîche naïveté et son amour pour Rafaël avaient quelque chose de touchant et terrifiant qui ne rassurait pas le nouveau. Loin de désirer subir un lavage de cerveau comme sa voisine de cellule, il ne perdait pas espoir de trouver un moyen de s’échapper de ce traquenard. Mais avant ça, il lui faudrait comprendre dans quel piège il était tombé et qui était ce fameux Maître auquel obéissaient aveuglement tous les habitants de cette maison de fous.
Image
signature by Baabar

Avatar du membre
Hoela
Messages : 75
Localisation : Quelque part dans les montagnes suisses

Re: Just stay with me... [BG Hoela]

Message par Hoela » jeu. avr. 05, 2018 10:31 pm

Le prix de la liberté

Les premières semaines furent les plus rudes, tant Rafaël mettait un point d’honneur à apprendre au nouveau venu les règles de la maison de manière tout sauf amicale. Entre deux séances de rudoiement, Sergueï avait le droit de faire la lecture à Hoela, sans pour autant pouvoir poser les yeux sur elle. Le Maître mettait un point d’honneur à éviter que les deux captifs ne se découvrent, par jalousie et crainte que la laideur de ses traits ne soit pas si rédhibitoire que ça pour la jeune fille. Avide de contes et fables, elle n’avait à la bouche que d’éloges pour son nouveau compagnon, fabuleux conteur, au point d’agacer celui qui avait été jusque là le seul et l’unique. Si la tare physique du garçon était un pur chef d’œuvre, n’en restait pas moins qu’il commençait à regretter de l’avoir introduit dans sa demeure. Pourtant si confiant en l’amour que lui portait Hoela, il se sentait de plus en plus en danger au fur et à mesure que les deux se rapprochaient. Trop de complicité, trop de cachotteries. Il n’y avait rien de pire que de pousser la lourde porte et d’entendre le silence prendre possession des lieux alors qu’il aurait juré que les deux bavassaient comme les adolescents qu’ils étaient une seconde plus tôt.

Tiraillé entre la raison et l’amour qu’il portait à la jeune sombre, il ne pouvait s’empêcher d’imaginer le pire à chaque fois qu’il quittait le domaine pour ses affaires. Comme si la seule voix de Sergueï avait le pouvoir de détruire tout ce qu’il s’était évertué à construire des décennies durant. Simple hallucination ou triste réalité, il avait la sensation qu’un mur s’érigeait lentement entre eux qui avaient été jusque là si fusionnels. Peut-être le manque d’intimité jouait-il en leur défaveur ? Peut-être que la solution était simplement de se montrer plus présent et de se garder des moments à deux. Plein d’espoirs, il n’hésitait plus à faire mener le dernier venu dans les caves, le temps de passer quelques heures en tête à tête avec elle. Il avait l’impression de retrouver sa Hoela d’autrefois, entre histoires imaginaires racontées sur l’oreiller, piano à quatre mains ou simplement rester dans les bras l’un de l’autre jusqu’à la tombée de la nuit.

Mais alors que les choses semblaient reprendre leur cours normal, il sentit à nouveau que quelque chose s’était brisé en elle. Cette horrible sensation que sa place dans le cœur de la sombre diminuait au profit de celui qu’il voyait désormais comme un véritable rival. Plusieurs fois, elle se refusa à lui, pleine d’une nouvelle pudeur qu’il ne lui connaissait pas. Comme si à présent leur relation pourtant féerique la répugnait. Esquivant ses baisers, retirant ses mains de son corps, elle inventait mille prétextes pour garder entre eux deux une certaine distance. Et à chaque fois, il ne pouvait s’empêcher de lui pardonner affichant un sourire triste jusqu’à ce que la porte en marbre ne se referme. Puis il quittait l’étage ivre de rage prêt à déverser sa haine sur le premier venu. Toute la maisonnée faisait les frais de ces crises de colère à chaque fois un peu plus violentes. Le Maître n’était pas habitué à ce qu’on le repousse et tous se demandaient jusqu’où irait sa patience avec la jeune femme. A quelle moment il recevrait un non de trop et perdrait tout sens des réalités pour laisser ce qu’il y avait de pire en lui prendre le dessus.

Hoela quant à elle, ne se doutait de rien, ne voyant en lui qu’un ange de patience malgré que Sergueï tentait de lui ouvrir les yeux sur sa situation tout sauf normale. Par tous les moyens, il essayait de lui faire comprendre que celui qu’elle prenait pour son bienfaiteur était un monstre. Qu’il n’avait aucun droit sur elle, encore moins celui de l’aimer comme il le faisait. Car si devant le jeune garçon Rafaël n’avait jamais aucun geste équivoque, il n’était pas dupe et avait parfaitement compris quel lien les deux entretenaient réellement. Que s’il la retenait prisonnière ici, ce n’était pas simplement pour la regarder dans le blanc des yeux et lui apprendre le piano. Tout ça le dégoûtait à en vomir, mais ses supplications ne trouvaient qu’une oreille sourde à tout avertissement. Alors peu à peu il avait changé de stratégie, laissant de côté les remontrances et les provocations pour ne lui servir que de douces histoires où les hommes et les femmes s’aimaient par choix et non par contrainte. Où ils étaient libres d’aller et venir à leur guise, d’exercer un métier et de choisir leur destiné. Lentement mais sûrement, Hoela intégrait toutes ces informations, avalant chaque mot avant de l’examiner, l’assimiler et élargir la vision étriquée qu’elle avait de la vie. Au point qu’un soir, elle avoua à demi-mot à son ami qu’elle avait dit non. Empli de fierté, il en avait versé une larme sans oser le lui avouer. De plus en plus attaché à cette voix avec qui il partageait la majeure partie de son temps, il avait l’impression de l’avoir un peu sauver de l’enfer dans lequel elle était prisonnière depuis si longtemps. Tout en devant bien avouer qu’il n’espérait plus qu’une chose, découvrir un jour si son visage était aussi beau que dans ses songes.

Sans doute, ne s’était-il pas attendu à ce que son souhait se réalise aussi rapidement, ni dans de telles circonstances. Enfermé dans une des caves, comme c’était le cas chaque après-midi depuis plusieurs semaines, il avait vu débarquer Rafaël en trombe, les portes claquant dans un bruit d’apocalypse. L’elfe, déjà peu enclin à faire montre de compassion et douceur avec lui, revêtait cette fois un masque qui n’annonçait rien de bon. La rage et la peur qui émanaient de lui rendaient son expression terrifiante. Les poings serrés, il semblait chercher à se calmer tout en approchant du garçon comme un lion l’aurait fait avant de bondir sur sa proie. Le sachant bien plus fort que lui, Sergueï n’avait aucun doute sur ce qui l’attendait et ce qu’il allait bientôt subir, espérant simplement que son amie soit pour sa part épargnée. Hoela avait dû dévoiler quelques secrets qui mettaient le Maître hors de lui et il allait en faire les frais. Ou lui avait-elle simplement demandé la liberté ? Le pire affront pour ce monstre qui ne se voyait pas comme un esclavagiste mais comme le plus généreux des bienfaiteurs. L’attrapant par son haut, il le souleva d’une main pour que leurs deux visages se fassent face. Là, il le toisa longuement avant de le gifler au point que Sergueï crut en perdre sa tête. Assommé, il ne réagit qu’à peine lorsqu’une main ferme lui attrapa la cheville et le tira à travers les couloirs étonnamment vides pour cette fin d’après-midi. Perdant conscience à mi-chemin, il ne se réveilla que lorsqu’il se retrouva au dernier étage, la tête en sang et ce regard améthyste qu’il avait tant imaginé braqué sur lui. Elle était encore plus belle que dans son imagination, bien que les larmes et la peur ne déforment partiellement ses traits. Elle lui fit l’effet d’une petite chose fragile enfin confrontée à la dure réalité après des années passées dans une bulle protectrice.

Elle avait beau supplier Rafaël de ne rien faire, ce dernier restait sourd à ses appels. Concentré sur sa victime, il se préparait à faire ce qui s’imposait et qu’il aurait dû faire dès ses premiers soupçons. L’infâme humain avait corrompu sa douce et il ne comptait pas le laisser s’en tirer vivant. Eliminer le problème une bonne fois pour toute lui semblait la seule solution viable. Il n’aurait ainsi plus qu’à reconquérir le cœur d’Hoela, peu importait le temps que ça prendrait. Ils avaient toute l’éternité pour s’aimer à nouveau et il comptait bien rendre son dernier souffle dans ses bras comme il se l’était toujours imaginé. Mais avant de passer aux choses sérieuses, il entendait donner une dernière leçon à l’effronté. Après l’avoir roué de coups sous le regard horrifié de la jeune sombre, il installa une des chaises face à la cage de cette dernière et y déposa tant bien que mal le corps désarticulé du gamin. Lui relevant le menton, il le gifla avant de lui ordonner de regarder ce qui allait suivre. S’en retournant dans la cage, il attrapa celle qui l’avait d’une certaine façon trahi et la maintint devant la vitre pour que le spectateur ne perde pas une miette de la scène. Lui attrapant le visage, il l’embrassa sans se soucier de son consentement avant de venir caresser son ventre, le regard braqué dans celui de l’humain qui fulminait sans pouvoir cependant bouger ne serait-ce qu’un doigt.

- Elle est à moi, maintenant et à jamais. Et elle portera bientôt mes enfants. Quel dommage que tu ne puisses assister à cela.

Le ton dur et froid, il montrait son vrai visage à celle qui l’avait toujours pris pour un être bon et respectueux. Tremblante, elle n’osait pas bouger ni même protester, terrifiée de découvrir que Sergueï avait raison sur toute la ligne. Elle était un animal qu’on gardait en cage dans le seul but de l’engrosser. Ce n’était pas de l’amour, ce n’était rien d’autre que de l’esclavage. Elle avait été forcée et contrainte toutes ces années à aimer un homme qu’elle ne connaissait pas vraiment, refusant de voir la vérité en face, se complaisant dans un mensonge rassurant et confortable. Lorsqu’il la jeta violemment sur le lit, elle sentit comme un courant électrique lui parcourir le visage, avant de se répandre dans ses bras, jusqu’à ses mains, pour descendre ensuite dans ses jambes après avoir parcouru toute sa colonne vertébrale. Si elle n’agissait pas maintenant, elle savait fort bien ce qui l’attendait et elle s’y refusait. Tout son être criait non, jusqu’à lui arracher ce hurlement dont elle ne se pensait même pas capable.

Brutalement, elle projeta Rafaël en arrière avec une telle violence qu’il traversa la vitre, cette dernière explosant sous le choc. L’elfe ne s’était pas attendu à une telle réaction, ni à ce que sa petite protégée ait autant de force cachée sous des tonnes de douceur. Allongée sur le tapis, il ne put que constater que la laine tissée du tapis se teintait doucement d’un rouge carmin qu’il ne connaissait que trop bien. Dans son ventre, un énorme morceau de verre lui interdisait tout mouvement et lui arrachait à chaque mouvement des râles de douleurs. Était-ce donc ça mourir ? A mesure qu’il sentait le froid l’envahir, il réalisait que la partie s’arrêtait là et qu’il était vaincu. Que deviendrait sa petite Hoela ? Qui s’occuperait d’elle ? Sanglotant, il la vit s’approcher jusqu’à se placer au-dessus de lui, son regard violacé le fixant avec une expression qu’il ne lui avait jamais connue. Une colère froide, un mépris total. Elle le haïssait au point que le voir mourrant ne la faisait même pas ciller. Dans un dernier effort, il tendit la main vers elle, espérant qu’elle accepte sa dernière confession. Lentement, elle se pencha jusqu’à s’agenouiller à ses côtés, l’intimant de parler avant qu’elle ne l’achève de ses mains. Comprenant que demander pardon ne servirait à rien, il se contenta de détacher le cordon qui pendait toujours à son cou et de le lui tendre. Stupéfaite, Hoela l’attrapa, le serrant doucement dans sa main, se doutant au vu des inscriptions sur le médaillon qu’elle tenait là réponse à bon nombre de ses questions.

Mais il n’était pas l’heure de s’attarder et elle se refusait à le regarder mourir, elle ne lui ferait pas ce cadeau-là. Filant vers Sergueï, elle le serra si fort qu’il en hoqueta de douleur. Relâchant enfin la pression, elle sanglota en s’excusant mille fois du sort de son ami qu’elle savait condamné. Tout était de sa faute. Elle aurait tout fait pour l’aider si seulement elle avait pu. Mais seule, elle ne pourrait jamais le soulever pour l’emporter loin d’ici, ni trouver de quoi lui prodiguer les soins nécessaires à son état. Sans compter que la maison devait grouiller de serviteur et que le Balafré ne la laisserait jamais partir saine et sauve. Lorsque son ami, dans un dernier effort lui attrapa la main pour la serrer dans la sienne, elle sentit son cœur exploser de douleur.

- Tu es libre… il n’y a personne en bas. Personne pour t’arrêter. Alors laisse moi et cours vers ta liberté. Vie Hoela. Vie enfin !

La main de Sergueï glissa lentement. S’en était fini. Alors elle ramassa sa cape qui trônait à l’entrée de l’étage afin de dissimuler ses vêtements couverts de sang. Elle arracha le morceau de verre fiché dans le corps de Rafaël qui ne réagissait déjà plus pour s’en faire une arme et fila sans se retourner. Arrivée à l’étage inférieur, elle put effectivement constater qu’il n’y avait plus personne, pas un bruit de pas, ni même l’ombre d’une domestique. Rafaël congédiait parfois ses serviteurs lorsqu’il désirait être seul, mais rarement le balafré en faisait parti, toujours là comme une vieille sangsue. Reprenant confiance, elle fila jusqu’au bureau du Maître et y entra timidement, se demandant si un ennemi potentiel n’allait pas lui bondir dessus. Ne sachant ce qu’elle cherchait exactement, elle attrapa la sacoche de voyage qui pendait sur le dossier d’un fauteuil et commença par vider les tiroirs du bureau. Dans la hâte et sans aucune délicatesse, elle retournait chaque recoin afin de trouver un infime indice en relation avec le médaillon. Dans la bibliothèque, ses doigts se posèrent enfin sur un lot de parchemin frappé du même emblème que celui gravé sur la médaille. Sans trop réfléchir, elle en fourra un maximum dans son sac espérant qu’ils contiendraient quelques informations sur une question essentielle. Qui était-elle ?

Mais déjà du bruit à l’extérieur mit tous ses sens en alerte. Quelqu’un faisait les cents pas dans l’escalier qui menait au dernier étage. A l’oreille, elle reconnut aussitôt le pas lourd de celui qu’elle redoutait par-dessus tout de croiser. Jamais il ne la laisserait partir, encore moins lorsqu’il découvrirait ce qu’elle avait fait. Retenant son souffle, n’esquissant plus le moindre mouvement, elle attendit patiemment que le bruit s’éloigne assez pour lui laisser le temps de fuir. Comptant dans sa tête, elle inspira à fond avant de s’élancer dans la course la plus folle de sa vie. Traversant les couloirs à toute allure, dévalant les marches menant au rez deux par deux, elle crut cent fois finir le cou brisé sur le carrelage immaculé de la demeure. Jusqu’à ce qu’elle se retrouve nez à nez avec cette grande porte en bois précieux qu’elle avait si peu souvent franchie. Tremblante, elle posa les doigts sur la poignée. L’extérieur la terrorisait, mais mourir ou retourner en cage n’étaient pas des options envisageables. Sergueï ne devait pas être mort pour rien. Prenant son courage à deux mains, elle poussa de toutes ses forces jusqu’à sentir le vent frôler sa peau et dégager les mèches ensanglantées qui lui chatouillaient la nuque.

Derrière elle, le balafré se rapprochait dangereusement. Il avait certainement découvert les corps et comprit que la fautive tentait de se faire la belle ! Alors sans plus d’hésitation, elle prit ses jambes à son cou, traversant les jardins sans même se retourner pour voir s’il gagnait du terrain sur elle. Ses jambes lui brûlaient comme jamais, ses poumons menaçaient de sortir de sa poitrine si elle continuait de les pousser au-delà de leur limite. Pourtant elle ne s’arrêta pas. Pour rien au monde elle n’aurait stoppé sa course folle. Pas avant d’avoir franchit le grand portail en métal qui délimitait le domaine.

Lorsqu’il fut enfin en vue, une lumière aveuglante déchira la nuit. Comme un phare la guidant jusqu’à la liberté, elle prit cette manifestation étrange pour un signe. Et alors qu’une voix rauque rugissait à quelques mètres au loin, elle se laissa aspirer par le vortex qui se dressait devant elle comme une porte vers un avenir meilleur. Glissant lentement dans le halo, elle eut l’impression de voir son âme arrachée à son enveloppe charnelle, sans pourtant sentir la mort venir à elle.

Fermant les yeux, elle se recroquevilla sur elle-même jusqu’à avoir l’impression de disparaître pour de bon. Sensation douce et réconfortante. Ses yeux se fermèrent, sans qu’elle ne sache si elle les rouvrirait vraiment un jour.
Image
signature by Baabar

Avatar du membre
Hoela
Messages : 75
Localisation : Quelque part dans les montagnes suisses

Re: Just stay with me... [BG Hoela]

Message par Hoela » lun. mai 07, 2018 1:08 pm

Let you down


Le froid mordant du vent qui glissait sur sa peau la fit revenir brutalement à elle, l’arrachant à ce sommeil sans rêve qui avait déjà duré bien trop longtemps. La joue dans la poussière, elle toussota en se redressant, les yeux encore clos, incapable qu’elle était de les maintenir ouverts plus de quelques secondes. L’esprit cotonneux, elle luttait pour rassembler ses souvenirs afin de comprendre ce qu’il s’était passé. Mais aussi et surtout où elle était désormais. La traversée lui avait paru durer à la fois une fraction de seconde et une éternité, gobée qu’elle avait été par cet amas de lumière avec lequel elle avait eu l’impression de ne faire plus qu’un. Comme si la mort était venue l’envelopper de ses bras délicats pour la déposer dans l’Autre Royaume. Celui des âmes désolées qui ne méritaient ni paradis ni enfer. Au lieu de ça, c’était la terre ferme et inhospitalière de la réalité qui l’avait recueillie.

Quand son regard se posa sur les alentours, plus rien ne lui était familier. Ses vêtements tachés de sang lui rappelèrent alors soudain Sergueï et Rafaël dans leurs derniers instants de vie. Puis le Balafré la poursuivant à travers les jardins dans une course effrénée. Jusqu’à cette lumière aveuglante qui l’avait comme aspirée, avant de la recracher dans un lieu à l’extrême opposé de ce qu’elle connaissait. Elle qui n’avait vu du monde que Gludio et Gludin se sentait soudainement dans un état de panique totale. Comme un animal apeuré, elle se recroquevilla derrière une grosse caisse le temps de retrouver un peu de calme. Se concentrer, respirer profondément, puis réfléchir posément. Rafaël lui répétait toujours cette phrase lorsqu’il la sentait trop agitée ou proche d’une de ses fameuses crise de colère. Ce souvenir lui arracha une larme qu’elle essuya rageusement d’un revers de main, avant d’entendre un bruit de pas non loin qui mit tous ses sens en alerte.

Le premier contact avec les indigènes fut étrange et mystérieux, pour elle qui s’était attendue à être crainte et rejetée. Rafaël ne lui avait-il pas sans cesse répété à quel point le monde extérieur était cruel et sans pitié ? Qu’elle y risquerait sa vie à chacun de ses pas en dehors du domaine ? Il l’avait maintenu dans un état de peur constante, afin d’éviter toute tentative de fugue ou rébellion. Pour elle, les choses étaient ainsi et il n’y avait pas lieu de les remettre en cause. Alors elle avait obéit sagement, rassurée par cette version des faits. Jusqu’à ce qu’un jeune garçon ne parvienne à lui ouvrir les yeux, à lui prouver combien elle avait tort et à quel point son Maître bien aimé était fou ! Aujourd’hui, tous lui avaient tendu la main, généreusement, tentant de la rassurer et lui expliquer ce qui lui était arrivé. Un vrai pied de nez à tout ce qu’elle avait toujours pris pour acquis.

La suite de l’histoire fut plus difficile à avaler. Un vortex… un autre monde, une autre dimension. Des concepts abstraits qu’elle peinait à appréhender, à simplement saisir et comprendre. Cependant, elle réalisa une chose qui lui fit rater un battement de cœur, la laissant muette face à ses nouveaux alliés. Jamais elle ne pourrait faire marche arrière, prisonnière de cet univers alternatif. Prisonnière mais libre à jamais du joug de son bourreau qui était resté de l’autre côté. Qu’il ait survécu ou pas n’avait plus d’importance. Que le Balafré se mette à sa recherche non plus. Ils étaient loin, bloqués de l’autre côté sans possibilité de même imaginer où elle avait bien pu passer. Plus les discussions avançaient et plus elle avait l’impression d’avoir été propulsée dans une des histoires que lui contait Sergueï le soir. Pleine de danger, d’aventures et de héros. Au point qu’elle se demanda si cette fois ce n’était peut-être pas elle l’héroïne. Les autres disaient qu’il n’y avait que des gens spéciaux qui passaient les portes magiques, des hommes et des femmes à la destinée hors du commun. Comment elle, simple gamine paumée et ne connaissant rien du monde pouvait-elle prétendre à un tel titre ? Si d’apparence, elle balaya d’un revers de main cette possibilité, intérieurement, elle sentait que quelque chose en elle avait changé. A l’instant précis où elle avait projeté Rafaël contre la paroi de verre. Puis lorsqu’elle s’était penchée sur son corps, sans regret, sans remord. Elle n’était plus la petite enfant fragile et innocente qu’il avait voulu faire d’elle pour le restant de ses jours. Une éternité à n’être qu’une poupée de porcelaine qu’on garde précieusement dans une boîte entre deux jeux malsains. Elle avait pris son destin en main et le vortex sonnait comme la récompense à cet effort surhumain, à cette prise de risque dont elle ne s’était jamais soupçonnée capable.

Pour l’heure, il était trop tôt pour tout ça, les choses avaient été si vite et s’étaient déroulées de façon si violente qu’elle n’aspirait qu’à un peu de repos. Souffler pour mieux repartir et affronter le vaste océan de l’inconnu. Bien qu’on lui proposait un abri pour la nuit, elle ne se sentait pas de dormir enfermée entre quatre murs, comme avant. Elle ne rêvait plus que de la liberté la plus totale que seules pouvaient offrir les vastes étendues de nature du continent. Dès qu’elle le put, elle abandonna ses compères et fila retrouver ce qu’elle connaissait le mieux, les bois entourant Gludio qu’ils avaient arpenté plus d’une fois avec Rafaël. Car s’il refusait de trop la montrer dans les cités, il n’en allait pas de même avec les immenses jardins du domaine et la forêt qui les entourait. Une façon qu’il avait de lui offrir le monde sans lui laisser la possibilité de l’influencer, de la corrompre et de lui laisser une chance de comprendre la nature réelles des choses. Une échappatoire qui lui avait souvent faite peur, le conditionnement instauré par son Maître ayant été un véritable succès sur elle, mais qu’elle était à présente impatiente de retrouver, comme une vieille amie qui nous a trop manqué.

Ici Gludio ne portait pas le même nom. Lorsqu’elle posa le pied dans la Cité Orientale, elle se rendit vite compte que si de loin les lieux semblaient les mêmes, tout était pourtant différent. Sans argent, sans ressources, elle se contenta de faire un tour rapide et discret avant de fuir vers la forêt, prête à prendre un peu de repos, libre de tout et de tous. Pouvoir dormir sur un lit de feuillages, à l’abri des branches d’un vieux chêne lui donnait l’impression d’avoir enfin compris la signification du mot liberté. Ses yeux fixés sur l’immensité du ciel, elle s’amusait à compter chaque étoile avant de s’en servir pour imaginer diverses formes. Sergueï appelait ça des constellations. Elle se prit à rêver que son visage se dessinait dans l’amas d’astres brillants qui déchiraient le voile sombre de la nuit. Il lui manquait tellement. Sa voix, ses récits, sa détermination. Il lui avait insufflé tout son courage dans le seul but de rendre son existence meilleure, jusqu’à en payer le prix fort. Son souvenir gravé dans sa tête, elle s’endormit bercée par le chant qu’il avait pris l’habitude de lui offrir chaque soir pour l’aider à rejoindre le pays des songes. Une douce et lente ritournelle dont elle n’oublierait jamais le moindre mot, le moindre changement de ton ou de rythme.

Le lendemain à l’aube, le corps en vrac et les vêtements rigidifiés par le sang désormais sec qu’ils avaient pompés la veille, elle comprit vite que son apparence rebuterait sans aucun doute les villageois et serait un véritable frein à ce nouveau départ dans le monde civilisé. Impatiente de se purifier des restes nauséabonds de son passé, elle se plongea nue, toute entière, dans le fleuve jusqu’à ce que sa peau retrouve sa couleur bleu pâle habituelle. Le froid ne la gênait pas, ni les petits poissons qui nageaient et lui chatouillaient les pieds. Comme une gamine, elle barbota un long moment, profitant de ce que la nature lui offrait enfin généreusement. Lorsqu’elle en eut assez, elle s’installa sur le bord du fleuve, de l’eau jusqu’au nombril et entreprit de retirer les taches de sang de sa chemise. Concentrée à frotter de toutes ses forces le coton, elle n’entendit ni ne vit l’homme qui approchait à pas de loup un peu plus loin, après avoir pris soin de laisser ses sacs sur le bord du chemin.

Voir une sombre dans le plus simple appareil avait dû l’intriguer au point qu’il ne put s’empêcher de profiter du spectacle qui s’offrait à lui. Loin de la gentillesse et de la délicatesse de ses précédentes rencontres, son regard inspirait des sentiments très différents qu’Hoela ne connaissaient que depuis peu. Le désir, la violence, l’envie. Elle ne comprit pas ce qu’il lui marmonna avant de lui attraper les poignets pour la forcer à sortir de l’eau. Elle ne comprit pas tout de suite ce qu’il attendait d’elle et ce qu’il comptait faire. Mais lorsque son cerveau percuta, elle ressentit à nouveau cette même décharge qui lui avait permis d’échapper une bonne fois pour toute aux griffes de Rafaël. Décidée à ne plus subir, elle se mua en une bête sauvage qui lacérait l’importun de ses ongles et se débattait comme une diablesse à coup de pieds et de poings. Surpris, le gaillard tomba à la renverse, lui laissant juste assez de temps pour récupérer l’arme improvisée qu’elle avait pris avec elle en quittant le manoir. Ce morceau de verre retiré du corps encore chaud de la toute première victime d’une longue série. Dans de grands gestes approximatifs, elle taillada l’inconnu jusqu’à ce qu’il cesse enfin de bouger, le torse couvert de coupures sanguinolentes qui teintaient doucement sa chemise d’une belle couleur carmin. Soucieuse de finir le travail afin qu’il ne pose jamais plus ses mains crasseuses sur elle, elle planta encore son arme improvisée dans la poitrine à demi-nue qui ne se soulevait déjà plus et tourna un peu, patientant que les spasmes s’arrêtent avant de la retirer. Il ne bougeait plus, son visage figé dans une expression d’effroi qu’elle trouva fort plaisante à admirer.

Point de dégoût ou de crainte, juste cette sensation salvatrice d’avoir fait ce qui s’imposait, ce sentiment de pouvoir absolu sur la vie et sur la mort. Si son cœur battait la chamade, ce n’était pas d’effroi. Plutôt à la façon du chant martial des tambours annonçant la victoire des troupes sur l’ennemi. Un instant, elle se figea sur le verre couvert de sang qu’elle tenait toujours entre ses doigts, sur les coupures qu’il avait laissé sur sa propre peau dans l’effort. Méticuleusement, elle vint le plonger dans le fleuve, lavant par le même geste son âme de la souillure que le fluide vital de cet homme sur sa main représentait.

Vérifiant que personne ne les avait vus, elle en profita pour fouiller ses poches et lui piquer ses vêtements qu'elle lava rapidement puis enfila aussitôt, restant envers et contre tout plus pragmatique que jamais. Il n’avait pas beaucoup d’argent et encore moins de vivres, rien qui puisse lui être utile plus de quelques jours. Mais elle s’en contenterait. Encore pleine de ce sentiment de puissance infinie, elle attrapa l’homme par les poignets et le tira plus loin, plus ou moins à l’abri des regards. Ne lui restait plus qu’à reprendre cette expression de douceur et de détresse qu’elle arborait la plupart du temps pour tromper son monde. Et se tromper elle-même, préférant s’enfermer dans un déni total qu’assumer sa part d’ombre qui semblait prendre de plus en plus l’ascendant sur ce qu’elle pensait être. Une fille douce, simple et honnête, dotée de ce visage délicat et juvénile qui avait toujours tant plu à son cher Rafaël et qui lui permettrait peut-être de trouver aujoud'hui un peu d’aide.

Affamée, frigorifiée, elle ne jeta pas le moindre regard à la dépouille avant de s’en détourner et filer vers la Cité.
Image
signature by Baabar

Avatar du membre
Hoela
Messages : 75
Localisation : Quelque part dans les montagnes suisses

Re: Just stay with me... [BG Hoela]

Message par Hoela » mer. mai 16, 2018 9:26 am

Cauchemars


C’était comme si dès l’instant où ses yeux se fermaient, sa liberté retrouvée volait en éclat, des chaines se refermant sur elle pour la maintenir à la merci de son bourreau. Dans le monde des songes, il était toujours le Maître absolu de son âme. Parfois il lui faisait payer ses crimes et sa rébellion, la battant jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien d’elle. Le reste du temps, il lui offrait ce destin auquel il aspirait tant pour elle, toujours dans un déluge de violence qui la laissait souillée et moribonde. La torture ou la servitude. La mort ou l’enfantement. Ses cris déchiraient le silence qui régnait dans les bois alors qu’elle réalisait à peine qu’il n’était pas vraiment là. Ses mains sales sur son corps, elle les sentait encore. Le goût de ses lèvres sur sa langue l’imprégnait jusqu’au petit matin, au point qu’elle en vomissait à chaque fois.

Elle ne dormait plus, luttant à chaque instant pour ne plus sombrer dans les cauchemars qui peuplaient son esprit. Jour et nuit, elle résistait à l’appel du sommeil jusqu’à ce que la fatigue la rattrape et l’entraine dans un tourbillon d’immondices qui lui vrillait les entrailles et l’entrainaient au bord de la folie. Et lorsque ses yeux se rouvraient sur le monde, elle se maudissait d’être si faible, elle le maudissait d’avoir détruit tout espoir d’une vie sans lui.

Une seule chose parvenait à la soulager brièvement, à bouleverser ses sens et ses sentiments avec assez de brutalité pour lui permettre de dormir d’un sommeil sans rêve et sans peur. Un remède presque aussi terrible que le mal qu’elle combattait, mais nécessaire à lui maintenir un pied dans la réalité. Une façon de libérer la colère et la haine qu’elle accumulait sans savoir comment les gérer ou s’en débarrasser. Un poids énorme qu’elle sentait au plus profond d’elle-même, qui lui rappelait chaque seconde ce qu’elle avait laissé derrière elle, ce qu’elle avait fait aussi. Mais face aux autres, elle ne voulait rien en montrer, affichant ce masque qu’on lui avait appris à garder quoiqu’elle ressente, quoiqu’elle pense. Car une femme ne devait pas montrer ses humeurs selon celui qui s’était donné tant de mal à l’éduquer en animal bien docile. Il lui fallait une échappatoire, une soupape de sécurité qu’elle avait trouvée dans un acte aussi effroyable que libérateur.

Lorsqu’elle se sentait à un pouce de défaillir, elle se lançait dans un chasse sans pitié qu’il fasse jour ou qu’il fasse nuit, faisant le tour de la Cité comme un loup à l’affût de sa proie. Elle les repérait généralement de loin, ces types si sûrs de leur personne, toujours persuadés qu’ils n’auraient qu’à lever la main pour obtenir toutes les faveurs auxquelles ils prétendaient et pensaient avoir droit. Et quand enfin ils s’éloignaient des lumières de la ville, qu’ils marchaient sur les terrains de terre qui conduisait au village suivant, il lui suffisait qu’un signe pour les appâter avant de les saigner comme les porcs qu’ils étaient. A chaque meurtre, elle sentait ses sens décupler leurs pouvoirs, ses frappes devenir plus précises et plus dévastatrices. Même si elle ne comprenait pas d’où lui venait cette puissance inespérée, elle la laissait envahir ses mains, ses doigts, afin qu’elle accomplisse son œuvre et la mène à cette plénitude tant espérée. Libre, soulagée, elle se désintéressait de ses proies, leur corps froids abandonnés aux charognards sans une once de regret, parfois sans assez de prudence.

Combien subirent ses assauts ? Elle aurait été bien incapable de le dire, laissant derrière elle cet océan de colère, faisant fi de ses actes dans un déni presque psychotique dès l’instant où elle passait les portes de la Cité. Elle redevenait pour quelques heures Hoela, cette jeune fille perdu et sans attache, simple vagabond redevable de tous ceux qui lui tendaient la main chaque jour un peu plus. De la boulangère qui lui offrait son pain rassis chaque soir contre un peu d’aide pour porter les sacs de farine. Du forgeron qui lui avait offert une vieille lame rouillée dont il n’avait plus l’utilité pour qu’elle puisse se défendre. Ou encore des quelques passants qui lui offraient sans hésiter une ou deux pièces de leur économies pourtant déjà trop maigre. Sa plus grande surprise fut d’être approchée par ceux qui se disaient les protecteurs des Lieux. Un groupuscule qu’elle croisait parfois et qui ne désirait pourtant qu’une chose, coincer le tueur qui terrifiait la population depuis plusieurs jours. Deux corps retrouvés. Seulement deux, ne pouvait-elle s’empêcher de penser. Mais au lieu de la jeter en geôle afin qu’elle soit interrogée, on lui offrit le gîte et le couvert. Sans rien attendre en retour, sans mettre en doute sa parole et ses explications fallacieuses. Elle, une parfaite inconnue aux vêtements déchirés et à l’allure tout sauf amicale.

Ce jour-là, elle en fut à se demander ce qui inspirait tant de pitié chez elle, tant d’attention et d’amour parfois. Sans cependant trouver réponses à ses interrogations, mais confortée dans l’idée que cette aptitude constituait un formidable moyen de survivre encore un peu.
Image
signature by Baabar

Répondre