Fracture [BG Cateric]

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Cateric
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Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » mar. avr. 03, 2018 3:13 pm

Chapitre 1 : La Cite de la joie

Les petites histoires humaines font les épopées les plus réelles.
La résistance d'Elmoraden revêtait de l'importance, et travaillant pour l'un ou l'autre des camps je me tenais éloigné des idéologies pour ne chercher qu'à subsister en semant la mort là où on me l'ordonnait. Que ce soit pour un Gracien ou un natif, la vérité était que la raison reviendrait au vainqueur, comme ce fut le cas pour chacune des guerres que nous aurons connu. Moyennant finance bien sûr, parce que la gloire ne se mange pas, pour autant, je ne me pensais pas plus sale que n'importe quel soldat justifiant sa cruauté sous le couvert des aspirations politiques. Les idéaux sont quasiment toujours pacifique, mais l'histoire elle, demeure à jamais violente. Les batailles se succédant, des villages entiers se trouvaient rasés. On vit à travers montagnes, déserts et forêts des populations suivre un exode vers un camp de réfugié dont on disait que quelque soit son passé, quelque soit les maux dont on avait souffert, ou dont on souffrait toujours, il y avait une place pour soi et les siens. Perdu dans une sorte de désert rocailleux, l'on disait que le patron de ce camp, surnommé le Roi Lépreux, était aussi sage que bon.

À moi, il ne me fallait qu'une étape, le temps de manger et boire tout mon argent durement gagné dans le sang et la boue. Ce camp de réfugié, qu'on appelait curieusement "la cité de la joie", j'avais décidé que ce serait l'endroit où je passerai mon repos. Une étape dont j'ignorais la durée et ce n'était pas l'important. Quand bien même ce camp s'appelait la cité de la joie, je me doutais ne pas y trouver un parterre de fleur et la porte du paradis. Mais j'étais loin d'imaginer ce qui m'attendait là en réalité.

En passant à versant de colline, je rencontrais finalement, loin en avant, le fameux camp. De bien loin, il paraissait paisible et ordonné. Des allées bien tracées s'y dessinaient et quelques fumées s'en élevaient. De loin, tout est plus beau ai-je déjà entendu et c'était probablement d'autant plus vrai dans le cas présent. La première chose que je me demandais en voyant ce camp, c'était de quoi pouvait bien se nourrir ses résidents ? Pas de ville aux alentours, pas de champ, peut-être de l'élevage, mais de là où je me trouvais je ne voyais rien. J'espérai une fois sur place, trouver au moins de quoi me divertir.

Un bruit de pas sur mon côté et mon regard sur portait sur une toute jeune fille qui me regardait avec ses yeux ébahis. J'en savais la raison, mon apparence ; il était vrai que armuré avec une faux tenue sur l'épaule, je ne devais pas inspirer une grande sympathie. Son regard fixé sur moi fit qu'elle ne bougea pas et j'en profitais pour faire tomber le casque que je portais. Mon visage, qui lui, était immensément plus doux la fit se détendre un peu. Toutefois, étant donné la cause de tous les malheurs dont étaient responsables les militaires, rien n'était sûr quant à l'appréciation qu'elle aurait de moi. Je tentais un sourire, puis je m'adressais à elle avec respect, sinon au moins avec douceur.

-Bonjour. C'est la cité de la joie que je vois là-bas ?
-Oui, me répondit-elle timidement. Mais les soldats n'y vont pas d'habitude.
-Pourquoi ?
-Les gens là-bas les aiment pas beaucoup, à cause des guerres.
-J'apporte pas la guerre avec moi. Je veux juste un endroit ou me reposer quelque temps.

Elle me regardait encore un temps, un temps où je savais qu'elle cherchait à sonder l'honnêteté dans mon regard. Fort heureusement, avec moi qui disait la vérité et qui, hors de mon armure, était l'apparence de la tendresse, elle se laissait convaincre et me laissait enfin entrevoir un sourire que je lui rendis rapidement.

-Mon pépé est un peu plus bas, si vous venez avec moi, il voudra peut-être bien vous amener à l'entrée.
-Ce serait vraiment très gentil de votre part.
-Allez y venez !

Nous descendions ainsi le versant de la pente ouest pour retrouver un vieil homme qui avait l'air très aimable. Son grand-père je supposais, qui ne se trouvait pas si loin de là que ça. Il m'étonnait justement qu'une si jeune fille se trouva seule en pleine nature, mais son "pépé" veillait fort heureusement. J'avais rangé dans le dos la faux entre temps, car je ne voulais pas paraître menaçant. Il m’accueillait d'un sourire, malgré ma tenue clairement militaire, et sa petite fille qui m'annonçait, me présentait à lui sous le nom de "Chevalier". Toute enjouée qu'elle était, il me sembla qu'elle avait un lien très fort avec cet homme. Lui se présentait au nom de Zö, et sa petite fille portait le prénom de Jill. Lorsqu'il venait mon tour de me présenter, je préférai comme toujours donner une autre réponse que la vérité. Une habitude prise au cours des différentes missions que j'effectuais. Toutefois, Zö sembla plutôt s'amuser de ma réponse, il respirait en fait la bonté ce bonhomme et cela me déridait autant que cela me mettait à l'aise. Sa petite fille, qui quoi que joyeuse, me donnait plutôt l'impression d'être calme et docile, au point qu'elle restait silencieuse le temps que nous parlions.

-C'est que je n'ai pas de nom... On ne m'en a pas donné, alors je laisse les gens me nommer comme ils veulent.
-Et bien jeune homme on me l'avait jamais faite celle-la et pourtant j'en ai vu ! Si je dois t'appeler comme je veux, disons que tu seras... mmmh... Attends voir ! Il me fixait un moment, un sourire à peine voilé sous sa barbe blanche. Le Blanc !
-Pourquoi le Blanc ? Lui demandais-je amusé.
-Parce que tu es très clair pour un Sombre ! Me répondit-il plein d'entrain. Alors comme ça vous souhaitez passer quelque temps dans la cité de la joie ?
-Oui, je vous promets que je vous ferais pas de soucis.
-Il y a quelques soldats qui passent de temps en temps. Mais jamais pour causer des problèmes.
-Votre petite-fille m'a dit que les gens là-bas ne les appréciaient pas tellement.
-C'est comme partout, ça dépendra sur qui vous tomberez.
-Il y a un genre d'auberge là-bas ? Où quelque part ou dormir ? J'aimerai manger aussi, j'ai de quoi payer.
-Vous pouvez venir chez moi pour cette nuit, chez moi la porte est toujours ouverte aux voyageurs.
-On rencontre pas beaucoup de gens aussi généreux que vous. Je ne voudrais pas abuser de vos gentillesses. Et puis je ne vous cache pas que j'ai besoin d'un autre genre de compagnie. Lui disais-je presque gêné.
-Haaaa vous les jeunes, vous ne perdez jamais le nord ! C'est peut-être un camp de réfugié mais vous y trouverez presque tout ce qu'il y a dans une ville, et même ce que vous cherchez. Allons ne rougissez pas. Vous êtes soldat et j'ai été jeune moi aussi je sais ce que c'est. Allez venez.

Le Camp était c'est vrai immense, et cela ne m'étonnait guère que les habitants s'y soient finalement si bien organisés. Tandis que j'étais conduit par Zö jusqu'à l'une des entrées, il me présentait l'endroit, en nommant et m'indiquant tous les lieux qui pouvaient présenter un intérêt pour moi. J'évitais de lui poser trop de question d'un coup, par respect, et parce que j'aimais me faire ma propre idée. J'avais déjà vu des camps de réfugiés, et ce n'était jamais franchement gaie. Dans celui-ci, quoi que le bonne humeur y régnait en apparence selon Zö, il y avait toujours les mêmes problèmes. Les problèmes sanitaires entre autre, les maladies qui n'étaient pas rare, les difficultés à se nourrir, et tous les habitants n'étaient pas aussi bon qu'il aurait voulu me l'affirmer. Au moins il était honnête. Il était sortit avec sa petite fille pour aller cueillir des plantes. Herboriste, il confectionnait des potions et des baumes capables de soulager certains maux et c'était ainsi qu'il se rendait utile à sa communauté.

Quand nous étions suffisant proche, j'entendais un chant s'élever au-delà du crépuscule qui venait. Un chant magnifique, remplit de joie et d'une je ne savais quelle "humanité". Il me réchauffait le cœur au point quand j'en étais surprit et Zö qui le remarquait en souriait. Jill courrait vers l'entrée sans nous attendre pour rejoindre un groupe d'enfant qui devait certainement être son groupe d'ami. L'entrée était gardée par deux hommes en armes, montés sur un cheval. Ils ne nous arrêtèrent pas, en fait, ils ne nous dirent rien du tout, pas même un bonjour, mais je devinais à cela que le camp s'était fait une petite milice. Le maintien de l'ordre uniquement ? Ou leur protection ? Je l'ignorais, mais je savais que ces gardes n'étaient certainement pas des soldats confirmés. Je voyais déjà la fumée d'un grand feu passer par-dessus les tentes que je découvrais en entrant dans le camp. La vérité était que c'était précaire. Poussière, boue et saleté étaient clairement le lot quotidien de ces gens. Je savais qu'il n'y aurait pas de sanitaires par exemple et je n'osais imaginer jusqu'où les conditions de vies pouvaient être difficile pour eux. Malgré tout, le chant que j'entendais disait exactement le contraire. Ils étaient nombreux à chanter oui, et c'est vers ce chant que mon conduisait Zö. Selon lui, je rencontrerai là la personne que je cherchais...

À une trentaine de mètres de là. Un grand feu avait été fait, comme m'avait-on dit chaque soir peu avant le couché du soleil. On trouvait autour de celui-ci une bonne centaine de personnes, dont beaucoup chantaient, ce qui expliquait l'harmonie qu'inspirait ce chant à l'unisson. C'était là que m'attendait celle qu'on me présenterait en tant que Lucy, très respectueusement surnommée "La princesse des putains"... Selon Zö, elle s'amusait de ce surnom et il était mérité de son propre aveu. La jeune femme, pas plus de trente ans, était en effet avec un groupe de filles sous sa garde et sa protection, la pourvoyeuse de plaisir du camp. En d'autres endroits, cela aurait porté à jugement et moult réprimandes moralisatrices, mais ici cela paraissait normal. C'était une curieuse ambiance dans laquelle je me trouvais maintenant. J'arrivais dans une ambiance de fête, où petits et vieux chantaient et dansaient comme pour louer je ne savais quelle récompense. La nourriture et la boisson étaient distribuées sans que l'on demanda à qui que ce soit de payer. Je ne savais pas d'où cela venait et je n'osais le demander, mais quand j'arrivais et que Zö me présentait, tous, et je dis bien tous, avaient le sourire et la joie de vivre sur le visage. En d'autres temps, j'aurai dit que c'était "un peu trop". Mais vu leur situation, et mon ressentit, je me disais qu'il s'agissait plus d'un moyen d'évacuer tout le malheur auquel devait faire face cette population. C'est là que je la rencontrais, Lucy. Elle était assise à même la terre, les joues dans les mains avec le regard porté vers les gens qui dansaient et chantaient. Elle me fit un certain effet je ne le cache pas, mais réservé de nature, quand on me présentait, c'était à la voix basse et au regard fuyant que je lui répondais. Elle avait l'air de s'en amuser, mais je ne m'en offensais pas.

-Le Blanc ? Un Sombre ! Je suis enchantée ! Bienvenue à la cité de la joie.
-Merci beaucoup...
-Tu as faim ? Nous avons du sake aussi si tu veux.
-C'est que je ne veux pas abuser.
-Ha ha ha, c'est moi qui te propose, ce serait mal élevé de refuser. Viens t'asseoir.

Je défaisais ma faux, et la posais sur le sol pour pouvoir m'installer à côté d'elle. Elle n'était pas dupe, et je le savais, si Zö m'avait amené vers elle ce n'était pas sans raison. Mais le sujet était bien délicat à aborder et je n'osais pas. Elle ne le faisait pas non plus, au contraire, elle agissait tout autrement, elle ne me donnait pas l'impression d'être un client en fait. Plutôt un invité avec qui faire connaissance.
-Tu viens d'où ?
-Tu veux dire où je suis né ? Ou d'où j'arrive ?
-Les deux pourquoi pas.
-Je suis né dans les terres Sombres. Mais je viens de l'est, d'Aden.
-Tu es un mercenaire ?
-De temps à autre. Répondais-je gêné.
-Tu te bats pour qui ?
-Pour celui qui paye... Lui disais-je en détournant le regard.
-Tu ne gagneras pas d'argent ici tu sais. Me rétorquait-elle amusée.
-Je viens plutôt dépenser celui que j'ai déjà. Lui répondais-je tout aussi amusé.
-Tu comptes rester longtemps ?
-Je ne sais pas. Le temps que ça dure.
-C'est beau n'est-ce pas. Continuait-elle en regardant tous ces gens transpirer de bonne humeur.
-J'ai pas l'habitude de voir ça, mais c'est vrai que c'est beau. Pourquoi ils sont si joyeux ?
-Le bonheur commence par le sourire, pas l'inverse. Ici il n'y a que des parias. Soit que leurs maisons sont brûlées par la guerre, soit qu'ils sont au district des malades parce qu'ils ont la lèpre ou la syphilis ou autre chose. Soit ils fuient quelque chose qui ne les concerne qu'eux. C'est pas très beau ici, on le sait tous, mais au moins personne ne cherche à manger personne.

Je tenais mon gobelet de sake entre les deux mains sans ne savoir que dire. Alors je buvais une gorgée et m'efforçais de sourire. Elle ne me regardait pas, elle regardait le vague, veillant sur ce que je pensais être "ses filles". Le regard qu'elle leur portait était plus celui d'une mère qu'une maquerelle, et je trouvais cela tendre. Ainsi, me suis-je dis, que je resterai bien quelques temps ici, parce que le semeur de mort que j'étais ici, n'aurait pas, à semer, la mort...
Zö m'avait laissé là pour aller avec les siens, et Jill s'amusait avec des enfants bien loin de là. Je voyais déjà la nuit tomber, mais le feu nous réchauffait et nous éclairait. Manieur de sortilège, je trouvais cela d'autant plus beau. Et les chants continuaient, jusqu'à ce que Lucy se dressa. Elle me tendit la main après s'être placée face à moi, sans un mot. Je posais le gobelet, et saisissais sa main de la mienne en ramassant ma faux de l'autre. Une fois que je me trouvais debout, elle me dit simplement.

-Viens. Me murmurait-elle avec un sourire.
Et je la suivais.

La tente où je passais une agréable nuit était bien tenue. Et quoi que je n'étais pas dupe sur les modalités d'une relation tarifiées, Lucy savait mettre à l'aise et donner au moins l'impression qu'elle n'avait pas trouvé cela aussi désagréable que cela pourrait l'être. Sa tente était l'une des plus grandes, car il y vivait non seulement elle, mais quatre autres jeunes filles, toutes du même "métier".

Au beau matin, nus sur le lit de fortune, nous fumions une cigarette en sirotant un thé qu'elle m'avait servit. Pour peu que l'on ne se trouva pas dans un camp de réfugié, on aurait pensé qu'elle ne manquait de rien. Nous prenions ainsi le temps de discuter un peu, avant que je cherche un autre endroit ou dormir cette nuit, je n'allais pas après tout rester éternellement sur le lit avec elle, même si sa compagnie était apaisante. Elle me parlait avec naturel, et sentait une odeur de sainteté malgré son métier, chose qui me séduisait beaucoup. Suffisamment pour que nous ayons une vraie conversation qui allait au-delà du beau temps et de la pluie.
-Tu comptes rester toute nue toute la journée ? Lui disais-je comme une taquinerie.
-La robe est plus longue à mettre qu'à enlever, et pour ça on ne s'aide jamais tu as remarqué ? On se déshabille mutuellement, mais jamais on se rhabille.
-C'est moins amusant sans doute.
-Tu sais où tu vas dormir ce soir ?
-Zö m'avait proposé le gîte hier, j'irais à sa tente et après je verrais.
-Tu peux revenir quand tu veux.
-Ma bourse n'est pas éternelle... Sans mauvais jeu de mot. Ce qui la fit tout de même sourire.
-Tu repartiras à la guerre quand tu te seras assez reposé... On dit qu'elle approche de la fin.
-Après une guerre il en vient toujours une autre. Mon métier ne connaît pas la crise.
-Pourquoi tu as choisit ce métier ?
-Je n'ai rien choisit, je suis né et voilà ce que je suis.
-À ce compte-là moi aussi.
-Il faudra bien que nous prenions une retraite un jour...
-Hey ! J'ai encore de belles années devant moi tu sais.
-C'est certain ça, répondais-je amusé.

Les putains de mon point de vue n'avaient que rarement le respect qui leur était dû. Les soldats en étaient des clients friands car rare étaient les femmes prête à construire une vie avec des hommes toujours loin de leur foyer sans jamais l'assurance d'y revenir. De même, elles soignaient les maux du cœurs de ceux plongés dans la solitude et l’effroi, ou encore trop laid pour avoir connu de gré la volupté d'une caresse féminine. L'affection est un besoin vital même s'il ne fut jamais classé ainsi dans la pyramide de Maslow. Pourtant, la majorité de ceux qui fréquentaient les prostitués en avait honte, comme s'il s'agissait d'un aveu de faiblesse, de ne pas obtenir l'amour et la sexualité sans avoir à débourser. J'aurai aimé que l'on me dise un jour dans quel couple l'homme n'aura pas eut débourser le moindre sous, mais enfin, les vertus et la morale possèdent des nuances qui échappent parfois à toute logique.

Elle ne comprenait pas je crois que les guerriers naissaient guerriers. Nous n'avions pas le choix de notre vie. Naître avec des pouvoirs destructeurs conduit à détruire, sinon du moins les clans dans lesquels les enfants naissent s'emploient à ce que cela se passe ainsi. Le prestige dans la puissance de détruire, de la force individuelle, comme ce que le caractère animal et primitif n'aura pu se résoudre à se détacher de l'humanité que les hommes cherchent tristement à atteindre... Lucy qui couchait sans cause, me paraissait en fait avoir plus de noblesse que ceux qui massacraient au nom d'un idéal.
Nous entendîmes un moment la voix de Zö à travers le tissu de la tente. Il appelait Lucy et son timbre semblait inquiet. Elle se levait et comme d'instinct je l'aidais à s'habiller. Nous venions d'en parler et je pouvais ainsi lui donner tort. "J'arrive" lui disait-elle et le pauvre devait attendre. Je restais quand elle fut prête toujours nu sur le lit. Zö lui annonçait l'arrivée de deux chevaliers de la résistance qui avaient quelque peu forcé le passage. Moi je me demandais pourquoi cela la concernait elle d'abord... Mais en sachant que deux soldats arrivaient je décidais de m'habiller à mon tour. Ramenant l'armure à mon corps, je n'omettais pas de remettre aussi le casque sur mon visage. Je me saisissais de la faux et je sortais rejoindre Lucy et Zö.

-Les Gardes ont pas osé leur refuser le passage apparemment, s'écriait Zö.
-Rien d'étonnant, porter une armure et des armes ne fait pas de vous un guerrier, intervenais-je.
Lucy tournait le regard sur moi et je vis en son œil que dans cette tenue elle m'appréciait différemment. Peut-être prenait-elle un peu plus conscience de ce que j'étais. Ce n'était pas le sujet toutefois.
-Ils ont dit pourquoi ils venaient ? Demandais-je à Zö.
-Simplement se détendre il parait, me répondit-il.
-En quoi c'est un problème alors ? Demandait Lucy.
-Tu es la sœur du Roi Lépreux, en son absence c'est à toi de les accueillir.
La sœur du Roi Lépreux. Ainsi j'apprenais que le chef du camp était absent et qu'en plus celle qu'on surnommait la princesse des putains était tout bêtement sa sœur. Là, je voyais sortir de la tente derrière nous une fille blonde, qui tirait par la main une autre que je n'avais pas encore vu, toute bandée de la tête aux pieds et qui paraissait simplette, puisqu'elle ne parlait pas, elle ne poussait que des petits cris et des petits gémissements. Cela m'interloquait mais je n'avais pas le temps de m'attarder là-dessus.
-Lucy, si tu veux je peux t'accompagner. Ce n'est sans doute rien.
-La faux à la main ? Demandait avec étonnement Zö.
-Les mercenaires ont leur propres manières, lui répondais-je.

La petite blonde nous coupait, en s'adressant à Lucy. "J'emmène Hélène au dépôt" lui dit-elle. Et Lucy ne fit qu'un hochement de tête avant de se retourner vers moi.
-Pas de grabuge s'il te plait. Me dit-elle.
-S'ils n'ont pas d'intention belliqueuse il n'y en aura pas. Vous m'avez accueillit, je suppose que vous pourrez en faire autant pour eux.
-Eux sont clairement de la rébellion. On veut pas que l'Empire nous tombe dessus.
À cela je n'avais rien à répondre. Et fort heureusement Lucy qui partait me permettait d'éviter d'avoir à le faire. Nous nous dirigions donc vers l'entrée où les deux soldats en question étaient arrivés. Sur le chemin, je ne pouvais m'empêcher de lui poser cependant au moins une question.
-Il est où ton frère ?
-Parti avec une troupe chercher notre ravitaillement. Il négocie je ne sais comment avec je ne sais qui pour que ne manquions de rien ou presque.
-Vous manquez de médicament surtout je crois.
-Si encore nous avions des médecins pour savoir les utiliser...

Nous tombions là-bas sur deux soldats en effet. Je reconnaissais le clan Sasanaide au premier coup d’œil, moi qui fut élevé ici près de la cité Orientale par des Sombres. Le deuxième je ne supposais rien car je ne remarquais pas de signe distinctif. Je ne faisais pour le moment office que d'escorte à Lucy, qui était celle à qui revenait d’accueillir ces deux personnes. Sous mon casque, je ne disais rien pour le moment. Je me contentais de veiller.
-Bonjour à vous ! S'annonçait-elle pleine de joie et d'entrain. Vous avez forcé le passage parait-il, ça a fait paniquer pas mal de gens ici. Vous comprenez que les soldats ne sont pas forcément bien vus dans un camp de réfugié. Mais s'il est vrai que vous ne venez pas causer de problèmes, vous êtes les bienvenus à la cité de la joie. Je suis Lucy, et disons que je gère ce que je peux en l'absence de mon frère à qui appartient ce camp.
-La résistance n'a-t-elle pas son propre camp ? Intervenais-je alors. J'usais d'un aimable ton, mais je n'oubliais pas, non plutôt malgré moi, il y avait déjà un brin de défiance dans cette question. En effet, il me paraissait curieux que des hommes dont l'allégeance était revendiquée eurent besoin d'aller se reposer dans un camp de réfugié.

-C'est un fort joli nom en tout cas, je m'appelle Sasanaide Kumiko, enchantée de vous connaître hmm … Lucy. La rébellion a même plusieurs camps, mais à qui avons-nous à faire ? Vous ne semblez pas être aussi dans le besoin que ces personnes, hm. D'autant plus que la rébellion se bat de toutes ses forces pour que les populations vivent libres. Quelque part, nous sommes dans le même camp face aux Graciens. Nous répondait la Sasanaide.
-Et puis, il n’y a rien d’autre que ce camps à des kilomètres à la ronde, un peu de repos avant de reprendre la route serait salvateur. Mais excusez moi ma curiosité, vous dîtes que ce camp appartient à votre frère, c’est une façon de dire qu’il est le chef ou il est à l’origine de la création de camp ? Ça n’a pas dû être facile d’organiser tout cela avec le peu de moyen que vous devez avoir, surtout que les Graciens et les Adeniens sont bien trop préoccupés par la guerre pour vous aider vraiment. Ajoutait le soldat qui accompagnait la Sasanaide après un "bonjour à vous".

Je tournais mon regard vers Lucy, je ne pressentais pas d'animosité de leur part, au point que je laissais tomber mon casque tomber pour dévoiler mon visage d'ange aux yeux bleus, dont l'innocence loin de paraître usurpée figurait être un fardeau plus lourd à porter que la faux que je rangeais dans le dos. Lucy ne perdait pas sa jovialité et s'efforçait d'accueillir ces deux guerriers avec la dignité dû à tout être humain, sinon à des Sombres. Ils posaient des questions qui selon moi ne les regardait pas, mais il ne me revenait pas non plus de juger de cela et Lucy était la seule à pouvoir en définir l'importance. Toutefois, avant qu'elle ne réponde, je me permettais une remarque gratuite certes, mais dont je ne négligeais pas l'importance. Ce n'était pas que je me renfrognais à leur vis à vis, c'était que je souhaitais rappeler à une réalité des guerriers qui se pensaient légitimes comme tout ceux qui défendaient une cause.
-Un idéal en réduit toujours un autre en cendre.

Le ton était doux, fataliste, tandis que je fixais surtout la jeune Sombre rousse qui avait évoqué son gout de la liberté et son combat pour celle-ci. "Liberté liberté, que de crime on commît en ton nom", me disais-je cette fois à moi-même en pensée. Je n'avais de haine pour aucun des deux belligérants pour ma part. Je savais qu'une fois cette guerre terminée, les hommes trouveraient bien une autre raison de verser du sang. Je n'étais pas pourtant le genre à donner des leçons de morale, toutefois leur réaction à cela m'en dirait bien long sur leur personnalité. Lucy, ne les laissait pas me répondre tout de suite, sans doute voulait-elle "améliorer" l'ambiance avant. Je savais pourtant, ayant converser avec elle, que de dire que les réfugiés étaient dans le même camp que les Adeniens ne passerait pas. Même si elle ne le ferait sans doute pas remarquer pour ne pas ajouter de la tension là où ce serait inutile, je trouvais cela tout aussi gros pour ma part. Ici, les réfugiés n'avaient pas de camp, et de fait, il ne fallait pas se leurrer, le laboureur exploité par l'Empire, serait exploité ensuite par le Gracien. Pour lui cela ne changerait rien, si ce n'est qu'entre temps, il aura eut sa demeure à reconstruire et son champ a replanter.
-Vous serez accueillit et vous pourrez vous reposer. Du moment que vous vous montrez assez discret pour ne pas attirer les soldats Graciens ou Adeniens ici. Vous avez dû le remarquer, ce n'est pas notre petite milice qui saurait arrêter des hommes entraînés et déterminés. Mon frère est effectivement le créateur de ce camp, et il en est devenu plus le protecteur que le chef pour être honnête avec vous. Mais il n'est pas là pour le moment, il sera revenu dans quelques jours au plus tard. Hô, et voici le Blanc, que nous avons accueillit également hier.

Redressant le regard tant vers eux que Lucy, je n'oubliais pas avoir précisé que je me battais pour celui qui payait quand elle m'avait posé la question. Aussi avais-je combattu pour les deux camps. Chose qui n'était pas certaine de passer. Je ne comptais toutefois pas stopper Lucy si elle leur en faisait part. Je préférais de loin l'honnêteté et ce n'était pas le lieu, j'espérai qu'ils le comprendraient, pour déclencher un combat entre soldats.
-Je ne sais pas où vous pourrez passer la nuit en revanche. Si vous trouvez quelqu'un pour vous héberger ce serait idéal. J'ai plusieurs tentes pour ma part où nous logeons avec mes filles. Mais les nuits y sont payante autant que le divertissement que n'y prodiguons. Concluait-elle.

Quelle jolie formule pour présenter un bordel improvisé me disais-je en moi-même sans pouvoir retenir un sourire. Comprendraient-ils la subtilité ? Ils étaient tous les deux très beaux et bien soignés, et la jeune Sasanaide ne paraissait pas faire de grande manière, pas puritaine au premier coup d’œil en tout cas. Mais cela ne me concernait pas. Je voyais une occasion de peut-être trouver du travail en les rejoignant quelques temps quand ils partiraient, mais avant cela, je voulais un peu mieux jauger qui ils étaient. Rebelles combattant pour la liberté, peut-être, mais un assassin demeure un assassin et tous les principes ne sont pas les mêmes pour qui joue tant de l'épée que de la magie.
-Je sais que les dernières batailles ont été éprouvantes pour les deux camps. Je suppose qu'ils voudront surtout manger et se reposer. Ce soir, au feu de camp à l'aurore des chants, ils verront bien de quoi faire des rencontres et feront leur choix tu ne penses pas ? Demandais-je à Lucy.
-Oui oui c'est sûr ! Me répondit-elle toujours la joie sur le visage.

En quoi cela me concernait après tout ? Moi qui n'était là que depuis hier... Je me surprenais moi-même à vouloir prendre soin de ces réfugiés, et Lucy fort heureusement ne semblait pas s'en offusquer. Elle ne me fit qu'un hochement de tête approbatif dont les deux soldats feraient ce qu'ils voudraient.
-Bien ! Je dois rejoindre deux de mes filles au dépôt. Je vous laisse entre militaires ! Terminait-elle avant de partir.
Quant à moi, maintenant seul avec eux deux, je ne savais pas vraiment quoi faire ou dire de plus. Alors je laissais le silence s'installer entre nous pendant quelques instants jusqu'à ce que je me décide à le rompre.
-Lucy n'en a pas parlé, mais ils ont pas mal de difficultés ici, surtout médicales et sanitaire. Si l'un de vous deux a des compétences médicales, je pense qu'aider les résidents de ce camp donnerait une meilleure image des Adeniens. Elle n'a rien dit, sans doute car ce n'est pas parce qu’on a plus rien qu'on a plus de fierté. Il ne me semble pas que le jeune homme ce soit présenter au fait.

La conversation et la rencontre durait et ne démarrait pas si mal que ça. En fait, je pressentais l'envie de s'intégrer chez ces soldats. Sans aller jusqu'à croire en leur complète innocence, ce qu'ils répondaient à Lucy me satisfaisait. La jeune Sombre allait même jusqu'à exprimer de l'entrain devant l'idée d'un feu de joie et quoi que ce son compagnon y semblait moins emporté, il ne paraissait pas trouver cela désagréable pour autant. Aussi me disais-je que même s'ils étaient présent pour une autre raison que le repos, ils ne chercheraient pas au moins à causer du trouble. Était-ce ce camp que je protégeais alors ? Ou ma propre quiétude ? Si l'on lisait en ce moment le récit de ma vie, la question serait légitime, et j'y répondrais sans doute que quelque soit la réponse, le résultat serait finalement le même. Alors à quoi bon s'en soucier, si moi, le premier concerné, je ne m'en souciais pas,... Ou pas.

-Vous êtes là depuis longtemps ? Vous prenez à cœur la vie de ces gens à moins que ce ne soit qu'elle ? Me demandait pleine de jovialité Kumiko.
Et je me demandais si elle avait écoutée la conversation. Lucy avait dit que je n'étais présent que depuis hier pourtant, mais l'information avait dû lui échapper. J'en souriais en réalité, autant devant son énergie débordante que de son étourderie. Elle avait rit quand j'évoquais les idéaux cendrés et riait encore de presque tout. Chacune de ses paroles respiraient, et inspiraient même, un goût de la joie. Cette jeune femme qui avait plus d'un tour dans son sac aux vus des tatouages qu'elle avait sur le corps, semblait être aussi bienveillante que Lucy. Bien sûr, cela me ravissait, et quoi que je n'étais pas démonstratif à son point, le regard que je posais sur elle se fit aussi tendre que doux et le sourire que je lui portais se faisait témoin de l'estime grandissante que j'avais d'elle. La réserve ne tombait pas pour autant, mais, on ne se refait pas... Je n'avais pas le temps de répondre que son comparse intervenait lui aussi, tant pour se présenter que pour me désillusionner quant à leurs compétences médicales.
-Vous avez raison, je m’en excuse, je m’appelle Fugand. Avec ce qu’il s’est passé, j’avais un peu la tête ailleurs. Et personnellement, je n’ai aucune compétence médicale. Je pourrais à la limite aider à faire certains diagnostics, j’ai une bonne connaissance des maladies, mais pour ce qui est du soin, je ne peux rien faire pour vous malheureusement. Ajoutait donc Fugand.

Cela me fit perdre un instant mon sourire, il aurait été trop beau que le hasard nous mena des soldats médecins de toute façon. Connaissant le sens de l'humour noir dont était capable les Dieux, cela ne m'étonnait finalement guère. Il était inutile alors de chercher à imposer une aide de leur part à ces résidents. Ils ne les connaissaient pas plus que moi, et hors de l'occasion qui aurait pu se présenter sous leurs talents, ni eux ni moi, n'étions responsables de ces gens-là. Je convenais pour ma part qu'il faille seulement me conduire en bon invité, à la hauteur de la délicatesse de mes hôtes.

Il s'agissait maintenant de répondre, surtout à Kumiko puisque son compagnon ne posait pas tellement de question. Je baissais un peu la tête timidement, non pas que j'avais honte de ce que j'allais annoncer, mais que parler de moi déclenchait toujours un certain malaise en moi et ce malgré mes efforts pour le contrôler. Moi ? Le sujet qui m'ennuyait le plus. Mais c'était en se montrant honnête avec autrui, qu'on lui donnait le plus de gage de sa bienveillance autant que de sa confiance. Un risque certes, mais je me figurais ne pas risquer le combat, juste, au plus grave, une réticence à mon égard.
-Je ne suis arrivé qu'hier comme Lucy l'a dit. Avant cela, je combattais pour les Adeniens, et avant cela encore, pour Gracia, et avant cela encore... Pour un autre. Je marquais un temps d'arrêt et relevais une œillade désolée et compatissante. Prise de pitié à leur égard ? Bien sûr que non, cela ne serait pas respectueux et ne serait pas mérité. C'était plutôt que je sentais mes principes probablement obsolètes à leurs yeux, ce qui, par avance, développait un sentiment de solitude en moi dont j'étais maintenant coutumier. Ma voix fort heureusement n'était pas celle d'un dépressif enclin au fatalisme le plus complet. Simplement celle d'un homme profondément doux, qui était convaincu de sa propre philosophie.
-Je tente de laisser du bon là où je passe, d'autant plus quand j'y suis bien accueillit comme ici, peu importe devant qui je tombe. Continuais-je. Je suis peut-être un meurtrier à vendre maintenant à vos yeux, mais je n'ai jamais fait de ce métier un plaisir je puis vous l'assurer. Mon ennemi sur un champ de bataille ne l'est que le temps de la bataille. Par habitude j'ai vu que d'un côté ou de l'autre, c'est toujours la même histoire, les deux camps se disent les plus justes, il n y'a de guerre que lorsque deux partis se disent légitimes.

je n'avais pas plus développé que cela mes sentiments et mes égards. Ce fut déjà bien assez suffisant pour risquer de me faire haïr s'ils fussent fanatiques. Et d'ailleurs rien ne disait que tout cela les intéressait au final. J'en venais donc à un tout autre sujet avant de leur laisser le temps de répondre.
-Je crains hélas que nos compétences réunis ne suffisent pas. C'est grand dommage pour eux, mais ils ne sont pas de notre responsabilité. Quoi qu'indéniablement, vous et moi avons contribué à conduire ces gens ici.
Un reproche ? Non, un fait, un fait que nous devions porter sur les épaules selon moi, et le porter le plus dignement possible. Eux comme moi, n'avaient sans doute pas choisit leur condition plus que les gens résidents dans ce camp. Nul innocence pour qui que ce fut en ce bas monde, ainsi juger de la responsabilité des malheurs était bien peu sage pour qui que ce fut. Je pointais alors le centre du camp, où je savais de Lucy, qu'ils pourraient y trouver le dépôt s'ils avaient des objets à chercher.
-Là-bas se trouve une sorte de magasin si vous cherchez quoi que ce soit. J'ai aussi ouï dire qu'il restait un peu de place à l'est du camp s'il vous en fallait. Sachez que je ne suis personne ici cependant. Etant soldat, et craignant que la milice soit dépassée par les talents que nous connaissons, je voulais seulement m'assurer que mon propre repos ne serait pas troublé. J'ai eu je crois une réponse favorable, finissais-je avec un amical sourire.
Un petit mensonge à moi-même peut-être, car effectivement, la nuance des sentiments que je vouais à ce camp était bien plus complexe.
-Je compte de toute façon m'y rendre, si vous voulez m'y accompagner ?
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Cateric
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » mar. avr. 03, 2018 4:23 pm

Vers le centre du campement, une toute jeune femme blonde et frisottée s'évertuait à négocier avec l'un des rares marchands. Il était en réalité le responsable du dépôt qui se permettait de temps à autre de faire du marché noir, et vu la demande, il avait de quoi ramasser un beau pactole. Le dépôt était l'endroit où les provisions, mais aussi absolument tout autre matériel se trouvait. La jeune fille qui négociait, recherchait pour sa part à ce moment-là des médicaments. Pour elle-même, qui craignait les maladies infectieuses et vénériennes à cause de son métier, et pour soigner l'esprit d'Hélène, la jeune femme bandée de la tête aux pieds qui l'accompagnait (et c'était précisément ces médicaments-ci que l'homme vendait en sous main, le reste étant normalement en libre accès). C'était un ordre de Lucy, qui avait reçu plusieurs conseils susceptible de rétablir l'état de cette jeune fille. Personne n'avait grand espoir la concernant en réalité, et tout ceux de ce camp ne l'auront jamais vu autrement qu'ainsi, c'est-à-dire muette, simplette, avec le QI d'un enfant de deux ans... Pour son plus grand malheur, elle avait le défaut d'être magnifique, c'est pourquoi Lucy la bandait de la tête aux pieds, craignant que les appétits masculins qu'elle connaissait trop bien ne cherchent à disposer de la faiblesse de sa protégée.

L'homme lui réclamait un peu trop à son gout pour les denrées qu'elle demandait, elle se savait pourtant dos au mur et dans l'obligation de payer. C'était aussi ainsi que les choses se passaient dans le camp de réfugiés. Tous cherchaient à survivre, mais ils y en avaient toujours, même au plus bas de la misère, qui cherchaient à tirer parti des situations sur le dos d'autrui. La petite blonde, chacun ici, et particulièrement les pourceaux, la connaissait. Recueillit depuis quelques mois par le camp, on en savait très peu sur son passé, mais Lucy l'aura prise sous son aile et c'est elle-même, qui se présentant sous le prénom de Nina, décidera de faire le même métier que sa protectrice. La corvée qu'on lui imposait à ce moment-là en revanche ne l'enchantait pas, elle avait tendance à considérer Hélène comme une charge, sans oser toutefois en faire part à qui que ce soit de son entourage. Hélène était dispensée de travailler en effet, contrairement à toutes les autres filles sous la coupe de Lucy, ce qui pouvait provoquer une certaine jalousie. Si les autres filles arrivaient à comprendre la décision de Lucy, Nina, qui ne niait pas l'incapacité d'Hélène, n'en n'éprouvait pas moins une certaine aversion mêlée à la honte de la ressentir. Hélène en effet, dans sa simplicité, était la tendresse incarnée, l'innocence telle qu'on l'envisagerait en regardant un nouveau-né.

Lorsque Nina sortait de la tente du dépôt, c'était pour un bref instant de panique, Hélène avait disparu, jusqu'à ce qu'elle la retrouva en train de jouer avec des enfants. Sautillant dans la boue, elle trouvait là autant de joie et de candeur qu'on pouvait attendre d'une personne aussi simple. La simplicité de l'esprit, avait de cela, qu'elle offrait la vision vraie des plaisirs simples de la vie, une vision qui échappait aux esprits intellectuels et tourmentés par le questionnement. Nina s'empressait d'empoigner Hélène pour l'emmener. Elle avait avec elle maintenant tout ce que Lucy lui avait réclamé et devait normalement se rendre directement là où elles dormaient toutes. C'est sur le chemin qu'elle croisait Lucy, toute enjouée et pleine de bonne humeur comme toujours. Elle qui prenait la vie comme elle venait, essayant sans cesse de respecter une certaine ligne de conduite qu'elle s'était fixée. Hélène, il était vrai, était la préférée de Lucy, mais chacune de ses filles avait son affection aussi réelle que sincère, et Nina n'était pas exclue de cela, loin de là. Lucy ignorait cependant les ressentiments de Nina tant la petite blonde savait donner le change.
-Hoyyy ! S'écriait Lucy. Alors tu as tout ? J'espère que ce vieux fripon t'as pas pris trop chère !
-Si je trouve... Répondait doucement Nina. Surtout, qu'on n'est même pas certaines que ça va marcher.
-S'il y a une chance, on doit essayer.

Mais Nina n'avait clairement pas le baume au cœur. Quelque chose lui tourmentait l'esprit, lui pesait sur l'âme, Lucy le voyait clairement dans son regard qui s'assombrissait en s'abaissant. Alors elle lui saisissait le visage entre les mains, pour le redresser, et avec un grand sourire elle lui dit.
-L'être humain est lâche par nature. Il jalouse celui qui n'a ne serait-ce qu'un peu plus que lui, et au contraire méprise celui qui possède moins. Pour une légère différence, il craint et il hait. Et c'est dur à admettre, mais spécialement le cas lorsqu'il s'agit de parias comme nous. C'est pour ça que nous devons nous serrer les coudes, nous toutes, quoi qu'il arrive. Parce que nous ne sommes peut-être que des putains, mais au moins, nous sommes des putains unis et honnêtes.
Nina voyait son visage s'éclaircir, sans lâcher prise la main d'Hélène, qui n'écoutait pas vraiment, puisqu'elle voulait attraper un insecte qui passait là, sans même savoir ce qu'elle en ferait si elle l'attrapait sans doute. La petite blonde allait répondre, mais on entendit des cris plus loin en arrière de Lucy. C'était une autre de leur fille, qui appelait à l'aide. Déjà une petite foule s'était amassée près de là, et à la fois Lucy, et Nina qui tirait toujours Hélène s'y rendaient.

Pendant ce temps, je me trouvais toujours avec les deux soldats qui avaient finalement accepté de m'accompagner, mais avant cela, j'avais dû faire avec les élucubrations de la Sombres Kumiko. Elle ne démordait pas de son idéal, cherchant à me convaincre de son bien, et même, elle osait tenter de me recruter. Bien sûr que je comptais peut-être les rejoindre, bien sûr aussi sa joie tant que son entrain me séduisaient, mais de là à croire en leur cause... Si elle n'avait pas saisi ce que je venais de lui dire, je pensais peine perdue de chercher à répondre à ses affirmations et son argumentaire. Fou de Graciens ? Les exactions guerrières étaient des deux côtés. Elle croyait certainement que c'étaient les régimes qui faisaient les hommes, que la brutalité et la médiocrité résultaient des dirigeants qui faisaient les lois. Or, je l'avais vu de mes yeux, ce sont les hommes, et rien que les hommes, qui sont responsables de leurs actes et de leurs répercussions. Les rebelles Adeniens savaient fort bien faire preuve de cruauté quand ils l'estimaient "nécessaire", et je ne pensais pas que la liberté enveloppée dans un paquet cadeau qui avait singulièrement la couleur du sang, rendait leurs actes plus justifiable que ceux des Graciens. Quand j'attendais, forcé d'entendre tout cela, je me contentais de regarder droit devant moi, en répondant pars un dur silence. Je voulais éviter le conflit avec eux, et je ne voyais que cette solution.
C'est alors que l'autre soldat, Fugand, intervenait, et ce qu'il disait... J'en tournais le regard sur lui un moment, avec le sourire, léger et heureux d'avoir à entendre quelqu'un qui me comprenait sans doute un peu plus, sans pour autant forcément adhérer à ce que je disais. Je me sentais en fait moins "seul". Je lui offrais un hochement de tête approbateur quand il terminait d'ailleurs, tout cela, alors même qu'il ne s'adressait pas à moi, mais à la Sombre Kumiko.
-Tu vois bien qu'il n’est pas touché par l’idéal de la rébellion Adenienne, je le comprends un peu à vrai dire. Le royaume Gracien lui-même est né d’un idéal qui faisait rêver et on voit bien ce que ça a donné. Et puis, faire l’apologie de cette guerre ici, ce n’est pas forcément idéal. Et puis, tout le monde n’est pas prêt à combattre les Graciens uniquement pour ton beau sourire.

À ces bonnes paroles, je m'en retournais, les sachant me suivant vers le centre du camp. Il voulait visiter avait dit Fugand Nous visitions donc. Ce qu'il y avait à voir n'était pas aussi repoussant que les champs de bataille que nous avions dus tous les trois côtoyer, mais ce n'était pas tout à fait l'ambiance du parfait site touristique. Ce que nous avions à découvrir était simplement ce que pour ma part, j'imaginais. Le bonheur du soir au feu de camp, masquait le malheur de la journée. Ces gens voilaient leurs conditions de vie en riant et chantant. Cela n'effaçait pas la boue, la surpopulation, le manque de soins et d'hygiène. Je ne crois pas que je pouvais tenir pour responsable de leurs conditions de vie ces résidents. Je n'aimais pas, depuis bien longtemps maintenant, juger des responsabilités d'une situation, du moins je ne me le permettais que rarement. Je ne considérais personne comme innocent, pas même ceux qui souffraient ici même. C'était malheureux ce spectacle, mais d'autres souffraient ailleurs pour d'autres raisons. La vie était ainsi, faites de naissances sous le signe de la fortune tandis que d'autres naissaient dans le caniveau. La chance n'avait rien à voir là-dedans peut-être. Je savais que pour tous les maux, il existait heureusement la certitude que la mort viendrait tôt au tard les guérir. Je préférais le silence au fil de mes pas, à moins qu'ils n'eussent choisit de me parler, je me rompais à l'exercice du roi du mutisme pour ma part. Jusqu'à ce que nous entendions plus loin, vers le centre que nous n'allions pas tarder à atteindre, un homme crier à pleine voix, il y avait vraisemblablement une certaine animation puisque déjà quelques personnes étaient autour et nous dûmes traverser une petite foule pour voir ce qu'il se passait.

Cette voix était roque, et sans voir le personnage, je me figurais déjà un ventre bedonnant d'alcoolique notoire. Devinez quoi ? J'étais tombé juste. Là, un homme donc, bedonnant, barbu, sale, et passablement ivre, proférait diverses menaces et accusations envers une jeune fille ensanglantée que Lucy tenait dans ses bras au sol, comme pour faire barrière de son propre corps à la colère de cet homme. Il tenait à la main un genre de bâton, dont le bout portait encore le sang de la jeune fille justement, un bâton qu'il brandissait de temps à autre.
-Elle m'a pris deux fois plus que ce qu'on avait dit ! Il manque au moins douze pièces dans ma bourse ! J suis sûr que c'est cette garce qui me les a prit ! Criait-il sur elles.
-Mes filles sont honnêtes ! Tu ferais bien de partir et peut-être que mon frère à son retour ne te fera pas chasser d'ici !
-SALE PUTAIN ! PRINCESSE DES PUTAINS ! Sans ton frère pour te protéger les fesses, tu serais ravagée par la moitié des mecs de ce camp ! Les femmes te détestent ! Et tes filles sont des voleuses ! Je veux mon pognon tu entends !
-Tu es ivres, je suis sûr que tu l'as perdu tout seul !
-Lucy... Chouinait la jeune fille entre les bras de Lucy.

Un peu en retrait, je voyais Nina qui tenait fermement Hélène. La blonde était apeurée et ne savait que faire, tandis qu'Hélène la bouche ouverte, était complètement à l'ouest et regardait sans vraiment comprendre ce qu'il se passait. Elle essayait de tirer sur le bras de Nina pour rejoindre Lucy, mais la petite blonde la tenait bien pour l'en empêcher.
Intervenir ? Le camp n'avait-il pas organisé une milice que je voyais là absente ? Cela ne nous regardait pas après tout, mais cet homme avait assez d'aplomb, ou d'alcool dans le sang pour frapper des femmes sans armes... Cela me mettait mal à l'aise en fait. Mais je ne connaissais pas ces filles moi, peut-être que l'homme disait la vérité... Quand bien même, frapper de la sorte n'était pas le châtiment mérité tant qu'aucune preuve de ce qu'il disait ne fût présentée. J'hésitais à m'avancer. Soldat ? Si j'usais de violence et de magie maintenant, que penseraient tous ces gens de nous ? Plus de méfiance encore, je le craignais. Cela continuait de hurler, quand l'homme fit un nouveau geste. Il sortait un poignard cette fois de sa ceinture. Je bondissais, d'un seul tenant derrière lui, si vite que les civils ne me virent même pas décoller et je lui saisissait le poignet. Pas de grandes violences en réalité, je ne fis que le lui faire chauffer jusqu'à le brûler au deuxième degré. Il lâchait ainsi, comme je l'espérais, le poignard qui tombait sur le sol. Le silence suivit, excepté de Lucy qui prononçait mon nom, comme étonnée de mon intervention. Mon mana ressortait de moi instinctivement, quand mon regard croisait celui de cet homme. Ni Lumineux, ni noir, mais autrement plus connu de ceux qui connaissaient la saveur et l'odeur de la mort. Le tuer n'aurait en effet provoquer chez moi absolument aucun sentiment, et si je ne le faisais pas, c'était parce que je me trouvais dans ce camp avec la ferme intention d'y rester encore quelque temps. Je ne me rendis pas compte pourtant de la quantité de mana que je dégageais, comme si cet imbécile aurait pu le sentir comme un avertissement de ce qui l'attendait en se rebiffant...

La milice intervenait tandis que je restais d'abord silencieux. Ils sortaient de la foule, trois hommes, dont je suis sûr qu'ils se cachaient jusque-là. Drôle de défense et je me devais de le faire remarquer.
-Vous attendiez plus de sang pour intervenir ?
-C'est que....
-Que ? Insistais-je un peu sèchement.
-Les meilleurs combattants sont avec le Roi, on n'est pas vraiment formé à ça.
-Si tu ne sais pas te battre, ça ne t'empêche pas d'en avoir le courage quand c'est nécessaire, je crois. Sinon donne tes armes à quelqu'un qui aura ce courage.
-Le Blanc.. Intervenait Lucy, une fois qu'elle s'était levée avec sa fille dans les bras et que les miliciens avaient attachés l'homme ivre qui braillait d'avoir mal au poignet. Emmenez-le à l'écart et ne le détachez pas. Nourrissez-le bien, mon frère verra ce qu'il lui arrivera.Terminait-elle.

J'abaissais le regard, quelque peu honteux d'être intervenu si gratuitement. Je remarquais le silence dans la petite foule, craignant qu'il s'agît de crainte. Mais je n'osais encore croiser leur regard pour vérifier. La jeune fille dans les bras de Lucy, se mit à pleurer, pas à chaude larme, mais des larmes sincères malgré tout, et ce que je l'entendis dire me fit grand mal au cœur.
-Quelques fois, je voudrais être morte... Le monde se fou déjà de nous, maintenant même les nôtres nous veulent du mal....
-Maëlis... S'attristait Lucy en essayant de la consoler comme elle pouvait.
-S'il te vient l'idée de te suicider, ne le fais pas, car si aux yeux du monde tu n'es rien, aux yeux de quelqu'un tu es sans doute le monde entier. Intervenais-je en m'adressant à elle en toute honnêteté. Ce que j'ignorais alors, c'était que celle qui fut le plus frappé par cette phrase, c'était Nina, que je ne regardais pas.

Cette Maëlis redressait le regard vers moi, tout comme Lucy, mais elle n'était pas tout à fait convaincu, je le voyais, comme j'avais vu en elle le véritable désir de mourir, tant le poids de la vie pesait sur ses frêles épaules. Le suicide, c'est l'espoir de ceux qui n'en n'ont plus, et cet espoir, je le vis dans beaucoup de regards durant ma courte vie. Toutefois, je savais, que nul en ce monde ne pouvait être détesté de tous et aimer de tous aussi, cette jeune fille avait forcément quelqu'un pour l'aimer, ou avait connu quelqu'un qui l'aimait, et dans son regard, c'est l'idée que je voyais émerger en elle, celle précisément que j'avais voulu faire éclore. Je lui fis un petit sourire certes forcé, mais sincèrement compatissant malgré tout. Et alors que Lucy me souriait à son tour, nous entendîmes un cor sonner au loin. Puis un cri.
-LE ROI EST DE RETOUR !
Le surnommé, Roi Lépreux, rentrait dans son domaine.

Lucy consolait sa protégée tandis que les miliciens de fortunes conduisaient l'ivrogne violent je ne savais où. Certainement dans un endroit où il pourrait décuver et prendre conscience tant de la gravité de ses actes que de l'absurdité de la situation. Toutefois, ce qu'il avait dit, je ne l'avais pas ignoré. Les femmes détestaient Lucy ? Les hommes la ravageraient ? Qu'est-ce que cela sous-entendait sinon qu'il y avait bien plus de tension que la "cité de la joie" voulait bien l'admettre. L’intervention de Kumiko, quoi qu'inutile dans cette affaire, était pourtant de mon point de vue normale. Une solidarité féminine peut-être ? Même si la provocation qu'elle avait employée m'avait paru surfaite. Son compagnon était toujours plus discret, et me paraissait aussi, plus lucide d'une certaine façon. Je crois pouvoir supposer que cet homme avait un passé lourd, bien plus que la fanatique de la rébellion qu'il accompagnait, peut-être était-ce pour cette raison, sans pouvoir l'expliquer, que le courant passait mieux entre lui et moi qu'entre moi et elle. Kumiko avait en effet glissé une petite gifle à l'ivrogne et m'avait félicité juste après le son du cor.

La foule se dirigeait vers l'entrée pour accueillir le "fameux" Roi Lépreux. Un homme que j'avais hâte de rencontrer je ne le cachais pas. Lucy avait la mine sombre, et ne semblait pas vouloir s'y rendre. Nina, traînant encore Hélène, la rejoignait silencieusement et je supposais sans me tromper qu'elles rentreraient toutes vers leur tente. Cette Hélène, qui en me voyant, je ne savais pourquoi, serrait les dents comme si elle dû se méfier d'un animal dangereux. Une surprise dans le regard de Lucy et de Nina sur une attention qu'elles ne relevèrent pas, sans doute pour ne pas me froisser. La simplicité instinctive de cette jeune femme sans voix et sans réflexion avait peut-être ressentit en moi le gout de quelque chose que cherchait pourtant à me cacher...
Pour ma part je rejoignais les deux soldats, et je commençais par faire un sourire à Kumiko.
-Merci... Lui disais-je sourdement. Je vais aller voir ce fameux Roi pour ma part. Si vous voulez me suivre...

Merci pour quoi ? Elle en jugerait d'elle-même, ce mot de gratitude était pour moi la simple récompense devant une action humaine. Le genre de chose qui pouvait m'émouvoir tant je n'en avais pas l'habitude. La complexité de la nuance de mes sentiments n'avait d'égal que ma capacité à tuer sans ressentir de culpabilité, mais cela, la pauvre, ne pouvait pas le savoir.
J'avais ignoré volontairement leurs commentaires, que ce fut sur ce qu'il venait de se passer où sur le roi lépreux. Ces choses-là ne m'intéressaient pas. En revanche, je ne cachais pas mon intérêt pour celui-ci, et je tentais de les inviter à me rejoindre pour aller à sa rencontre. Peut-être se ficherait-il de nous, mais le voir m'intéressait. Je m'y rendais donc sans vraiment me presser.

Là-bas, plus en avant du camp, lorsque je dépassais l'entrée, je vis alors descendre de la vallée désertique une cavalerie, il fallait bien le dire ainsi, transportant dans des chariotes d'énormes caisses. Sans doute le ravitaillement tant attendu par le camp de réfugié. De loin, on y aurait presque trouvé de la grandeur, avec ces drapeaux blancs tâchés de sang flottant au vent sous le soleil. Un drapeau blanc tâché de sang, quel symbole criant cela me paraissait... Mais leur équipement était loin d'être celui d'une glorieuse armée. Il m'apparaissait clairement que tout cela tenait plus de la récupération de champ de bataille et de bricolage qu'autre chose. Ils étaient nombreux. Sans pouvoir dire combien, je voyais tout de même une petite armée se dessiner dans l'horizon. Mais une armée de civils. Combien d'entre eux, même tous ensemble, feraient le poids face à un chevalier dépassant le titre de sergent ? Était-ce de la parade, où se croyaient-ils sincèrement convaincu de pouvoir faire face ?

À leur tête passait l'homme que je voulais voir. Et Dieu que je n'étais pas déçu. Je voyais une hauteur telle que je l'aperçu que rarement chez un homme. Monté sur son cheval, ce Roi lépreux semblait réellement posséder la dignité d'un prince. Était-ce sa tenue ? Son masque miroir ? Son cheval noble ? Non, c'était autre chose. Voyant les gens s'écarter lorsqu'il rentrait dans le camp, on sentait tout le respect d'une population pourtant rustre et à bout de nerf, comme si par sa présence, l'ordre et la quiétude s'installaient dans les cœurs. Il était accompagné de ses gardes, mais l'un d'eux particulièrement, un homme immense, un orc sans doute, encapuchonné et carapacé dans une armure paraissait veiller sur lui plus que de raison. Je restais à l'écart, sachant bien qu'il ne valait mieux pas se montrer pour le moment. Je me tenais toutefois suffisamment près pour le voir. Le corps entièrement recouvert, même sa gorge était bandé. On fit abaisser son cheval pour qu'il puisse en descendre, mais je savais à sa façon de se tenir que ce n'était pas le respect dû à un roi, c'était qu'il n'aurait pu en descendre lui-même autrement. En effet, quoi qu'il faisait tout ce qu'il pouvait pour paraître digne et accepter son sort, on y ressentait toute la douleur que pouvait contenir un homme dévoré jusqu'à l'intérieur même de sa chaire, et je savais que ce masque miroir qui renvoyait sa propre image quand on voulait le regarder dans les yeux, si beau qu'il fut, visait à masquer la déformation que la lèpre avait dû causer à son visage. Il était calme et paisible, et une autorité sage émanait naturellement de lui. Depuis quand était-il lépreux ? Sans doute longtemps vu son état et pourtant, il n'avait pas l'air d'avoir plus de 18 ans...

Le ramassage du ravitaillement s'organisait de lui-même. On vit chacun trouver sa place et les répartissions vers le "dépôt" s'opérer sans difficulté. Cependant, absolument personne n'osait le toucher, et de cela je doutais que ce fut par simple respect... Zö, le vieil homme qui m'avait accueillit vint à sa rencontre, et après s'être parlés un bref moment, le Roi Lépreux s'adressait à son garde le plus proche, l'orc immense en armure, qui criait alors ensuite.
-Où sont les soldats ?!
Quelle voix tonnante, mais qui ne m'effrayait pas pourtant, pas plus que l'épée massive qu'il portait dans le dos. Je m'avançais pour ma part calmement, sortant de la foule, et tous les visages se tournèrent fatalement sur nous, les soldats. Le Roi se tournait lui aussi vers nous, et moi, qui m'avançait sans faire de grande manière.
L'homme au masque miroir se présentait, et à sa façon de se tenir, je savais qu'il n'attendait pas que je m'inclinais, mais qu'il attendait malgré tout un respect dû à tout homme. Ce visage, et surtout ce regard, à moitié aveugle, je le voyais, qui me regardait avec une certaine nonchalance princière, me faisait pourtant l'impression d'être justifié.
-Je m'appelle Bohémon. Me dit-il d'une voix basse. J'aimerai beaucoup parler avec vous. Si vous me faite cet honneur. Le Blanc n'est-ce pas ? Vous et vos amis voudriez-vous m'accompagner dans ma tente ?

Je le regardais un instant encore, comme si je sentis un appel de quelque chose de plus fort encore. Ne résistant pas, je répondais finalement.
-Je vous accompagne pour ma part. De la réponse des autres, je ne peux me prononcer.

Je ne ressentais aucune agressivité chez cet homme. Rien de plus qu'amour et compassion. Dans son regard, je me sentais percé de quelque chose, comme s'il lisait en moi ce que je voulais étouffer en temps normal. Le privilège de la douleur peut-être ?
Combien pourraient le prendre en pitié, tant on lisait le mal de vivre et le poids des responsabilités en lui. Toutefois, je n'allais pas m'abaisser à m'incliner. Nul ne me soumettait plus depuis longtemps et quoi qu'il m'inspirait un grand respect, je pouvais au mieux estimer sa spiritualité qu'à la même hauteur que la mienne. Il ne nous traitait ni ne nous regardait comme le reste des siens. Lui qui avait un mercenaire face à lui, il ne me semblait regarder qu'un homme, du moins, un homme représentatif de quelque chose.

Alors que les deux soldats et moi-même faisions la rencontre du Roi Lépreux, Lucy et ses filles étaient parvenus à leur tente. La première chose que fit Lucy, fut de s'occuper de la plaie à l'arcade de la petite jeune qui avait prit un coup de bâton. La blessure n'était pas si atroce que ça et un peu de désinfectant avec une aiguille stérilisée et un fil suffiraient à rendre le visage de la belle comme neuf. Nina traînait encore fois Hélène vers un autre coin de la tente pour lui administrer plus tard le remède qu'elle était en train de lui préparer. La blonde frisottée le faisait il était vrai sans grande conviction, mais respectait toutefois autant les ordres que les espoirs de Lucy, qu'elle considérait, d'une certaine façon, comme la mère qu'elle n'avait pas eut. Le plus drôle, ou ironique plutôt, était qu'Hélène n'avait même pas conscience des efforts que faisaient l'une et l'autre pour elle. Elle n'avait nullement conscience de sa propre condition, peut-être même ignorait-elle jusqu'à sa propre conscience. Or, c'était sans doute ce qui la rendait si innocente.

Cela n'empêchait pas Nina de rechigner à la tache, sans le dire tout du moins. Elle était alors avec la mine basse en train de verser dans un flacon le contenu du remède que l'on avait conseillé pour soigner l'esprit d'Hélène. Son esprit à elle était ailleurs en effet, vers de plus sombres questions et de plus sombres pensées qui ne concernaient en rien Hélène. Hélène, qui la regardant malheureuse, entrouvrait la bouche en laissant s'échapper un son qui tenait plus gazouillis d'un nourrisson que de celui d'une belle fille. La jeune femme à l'esprit perdu posait la main sur la tête de la blondinette et la caressait pour la consoler. Un geste simple, comme celui d'un enfant. Simple et innocent, mais surtout sincère. Nina relevant le regard sur elle en était terriblement touchée. "Je me fiche de toi, et tu cherches quand même à me consoler" pensait-elle alors jusqu'à ressentir une certaine culpabilité. C'est ainsi qu'elle tendit son flacon à Hélène, mais cette fois, avec le sourire. Un sourire amical, comme la récompense juste du geste d'affection qu'Hélène avait eu pour elle. Lucy terminait de recoudre l'arcade de son autre fille pendant ce temps, celle-ci ne se plaignait pas, malgré que cela ne fut logiquement pas franchement agréable. Même si Maëlis ne se plaignait pas, cela ne l'empêchait pas de grimacer de temps en temps, mais lorsqu'elle ouvrait les yeux, c'était pour trouver le regard concentré et le sourire consolateur de Lucy, ce qui lui donnait suffisamment de courage pour continuer de recevoir les soins sans se plaindre.

-Ce que le soldat a dit... Sur la personne pour qui on serait le monde entier... Tu crois que c'est vraiment possible ? Demandait timidement Nina en regardant Hélène prendre le flacon. Lucy ne répondit pas au tac au tac. Elle prenait le temps de la réflexion, sachant que Maëlis semblait tout aussi intéressée par la question.
-Pourquoi tu doutes que ce soit possible ? Demandait enfin Lucy.
-Est-ce qu'un homme peut vraiment ressentir ça pour une prostituée... Répondit Nina plus comme une affirmation que comme une question.
-Ils ont pas l'air méchants les soldats qui sont là. Ajoutait innocemment Maëlis. Cela donnait un rictus à Lucy d'abord, qui répondait à Maëlis que cela avait l'air d'être le cas effectivement, puis tandis qu'elle terminait ses soins elle continuait.
-L'amour ne fait pas de discrimination. On aime sans savoir vraiment pourquoi on aime. On sait juste qu'on aime. Alors oui, c'est possible, même pour des prostitués.
Nina baissait la tête, il était alors facile de sentir que quelque chose d'intérieur la troublait très fortement. Hélène pendant ce temps, tenant le flacon dans la main, paraissait ne même pas savoir à quoi ça servait et encore moins comment l'ouvrir et le boire. Maëlis cependant sautait sur le silence pour poser ses propres interrogations.
-Pourquoi tu n'es pas allée voir ton frère ? Il vient de rentrer ! Et pourquoi qu'on laisse ces soldats dormir dans le camp. C'est à cause d'eux qu'il y a la guerre ! Même si ils ont l'air gentils c'est à cause d'eux qu'on est tous là !
-La mort non plus ne fait pas de discrimination... Ajoutait gravement par-dessus Nina.
-Hola hola hola, s'amusait Lucy. Un seul homme ne peut pas être responsable de tous les malheurs du monde et je devais m'occuper de toi et d'Hélène avant d'aller voir Bohémon. Lucy caressa la joue de Maëlis ensuite. Les Soldats naissent soldats, leurs propres parents les élèvent seulement pour ça. Leur vie n'est pas préférable à la nôtre. Un lourd silence suivait...

Lucy se relevait pour aller voir Hélène qui se dépatouillait avec son flacon comme un jouet. Sous l’œil de Nina et Maëlis, elle tentait de le lui faire boire, mais à peine le liquide passait dans la bouche de la simplette qu'elle le lui recrachait littéralement au visage sans cacher qu'elle l'avait trouvé dégoûtant. Lucy, maintenant trempée, comme les bandages d'Hélène, eut un moment de flottement, puis se mit à rire à plein poumons.
-Ralala ! Tu m'auras tout fait toi ! Et Nina et Maëlis rirent avec elle.
Lucy se débarbouillait d'abord, avant de retourner vers Hélène afin de lui défaire le bandage. Une fois fait, elle découvrait le visage d'une très jolie jeune fille et commençait à l'essuyer. Maëlis et Nina restait attentive et en retrait pendant ce temps. Lucy, avant de refaire les bandages, prit le temps de contempler Hélène, le regard bienveillant qu'elle lui portait prouvait sans le moindre doute toute l'affection qu'elle lui vouait.
-Normalement ici, tout le monde gagne sa croûte d'une façon ou d'une autre. Mais toi hélas tu ne peux rien faire... Une aussi jolie fille dans ton état ne peut pas montrer son visage. Les hommes sont trop dangereux ils chercheraient à en profiter. Si seulement tu pouvais parler,... S'il te plait, si tu peux m'entendre, s'il te plait, ne fait pas de bêtise.

Mais Hélène se contentait de la regarder d'un air niaise. Nina et Maëlis, toujours intriguées qu'elles furent par cette jeune femme ne purent s'empêcher de commenter.
-Quand je l'ai trouvé près du carrefour, elle bavait dans ses haillons et mourrait de soif. Tu crois qu'elle a été abandonnée ? Demandait Nina.
-Je ne sais pas. Répondait bassement Lucy. Mais si c'est vrai, abandonner à son sort un si petit ange serait un crime.
-Elle ? Pour qui elle serait le monde ? Aucun homme ne peut la toucher sans qu'elle hurle à la mort. Elle ne sait pas ce que veut dire aimer ou être aimer. Ajoutait Nina.
-Qui sait... Rien ne m'étonnerait plus maintenant... Lui répondait comme une fatalité Lucy.
-En tout cas le remède a pas l'air de marcher ! S'exclamait Maëlis.
-Haaaaaaa, soupirait Lucy. Peut-être une autre fois !

Nina se levait et se dirigeait vers le dehors, sans oser regarder les trois autres. Lucy qui se parlait plus à elle-même qu'autre chose interpellait sans le vouloir Nina qui se stoppait, de même que Maëlis.
-Elle s'est méfiée du soldat en serrant les dents tout à l'heure. C'est la première fois que je l'ai vu faire ça. C'était très étrange.
-Peut-être qu'elle a sentit qu'il était méchant ! Affirmait Maëlis.
-Le Blanc n'a pas l'air comme ça. Nina se retournait sur Lucy en entendant cela et Maëlis fit de grand yeux, mais Lucy n'avait pas terminée. Il a l'air simplement malheureux, continuait-elle. Très malheureux. Un peu comme s'il refusait qu'on l'aime, ou peut-être que...
-Il te plait heinnnnn !!! Tentait de la taquiner Maëlis. Il m'a sauvée, peut-être que je suis sa préférée même si je l'ai jamais eut comme client !
-Hola ! S'étonnait-elle en rougissant. Qu'est-ce que je vous ai dis à propos des clients ?
-De pas... Commençait Maëlis avant d'être coupée par Nina.
-Je sors.
Et Nina sortit...
-Elle est vraiment bizarre en ce moment... Commentait alors Maëlis.

Nina comptait se rendre vers l'unique puits du camp, avec peu d'entrain sachant la queue qui l'y attendrait, mais après une dizaine de pas, au détour d'une tente, un homme, blond, un peu timide et pas très grand lui saisissait le poignet. Une surprise d'abord qui s'apaisait dès qu'elle croisait son regard en se retournant.
-Joachim ! s'écriait-elle. Tu m'as fait peur...
-J'ai envie de te voir...
-Je ne peux pas pour le moment. Ce soir, au feu de camp. Il lui lâchait la main et détournait le regard.
-Tu as réfléchis à ma proposition ? Insistait-il tout aussi timidement dans un murmure.
-C'est pas aussi simple ! S'emportait-elle avant de "s'enfuir" en le plantant là.
Elle fuyait, non pas vers le puits, car d'avoir vu cet homme l'avait tourmentée plus qu'elle ne l'aurait soupçonné. Alors, courant autant qu'elle pouvait jusqu'au dehors du camp, vers un coin à l'abris et reculé, elle défaisait son corset et sa robe jusqu'à se retrouver complètement nue, bien à l'abris des regards. Là, elle avait le "loisir" de vérifier ce qu'elle pressentait depuis un moment. L'apparition d'un chancre ; une lésion rosée, indolore, non inflammatoire, propre, bien limitée devenant dure, laissant sortir un liquide clair. Au niveau des parois de son vagin... Les larmes coulèrent malgré elle, tandis qu'elle se tenait debout, la main appuyée contre la roche qui la maintenait à l'ombre.
-La syphilis... Qu'est-ce que je vais faire... Qu'est-ce qu'il va dire... Qu'est-ce que je vais lui dire... Nina, dressant les yeux vers le ciel, comme ce que font ceux dont le malheur n'a d'égal que la solitude dans laquelle celui-ci les plonge, espérait qu'un Dieu lui réponde. Mais la seule réponse, fut le silence le plus total, le plus angoissant.

Bien avant cela, le Roi Lépreux Bohémon accueillait Kumiko, Fugand et moi-même. Kumiko fut la seconde à s'amener, bousculant un peu la foule qui lui bouchait le passage, elle affirmait sa manie de se faire "un peu trop voir" à mon gout. Cette rouquine à la poitrine proéminente savait fort bien jouer de ses atouts féminins et se trouvait trop excentrique pour moi décidément. Les Sombre, était pourtant un clan "relativement" secret, compte-tenu de la protection de son savoir qu'il gardait jalousement. Elle se présentait à Bohémon fort heureusement avec respect, et sans en faire trop. Cela ravivait l'estime que j'avais pu lui porter.
-Bonjour monsieur Bohémon, moi c’est Sassanaide Kumiko de la rébellion Adenienne. Avec Le Blanc, nous ne sommes pas tellement liés vous savez, les guerriers de l'ombre sont une grande famille pleine de cousins éloignés que l'on ne connaît pas. Bien entendu oui. Répondit-elle ensuite à la proposition du Roi de l'accompagner. Nous présenter dans ce camp est la moindre des choses.

Je restais silencieux, le visage baissé vers d'autres pensées et en proie à une forme de discrétion latente. Bohémon ne paraissait pas désappointé de ses manières. Je ne décelais pas non plus d'entrain ou de joie, ni même un sourire sous son masque. Rien qu'un respect et une dignité à toute épreuve. Elle n'avait rien cachée de son allégeance. Si avoir notifié que nos rapports étaient beaucoup moins important que l'avait supposé le roi lépreux ne me faisait rien, clamer à nouveau cette allégeance avec autant de fierté commençait à m'exaspérer, quoi que ce fut un bien grand mot. J'avais seulement envie de lui dire ; Du fanatisme à la barbarie, il n'y a qu'un pas... Mais je m'en gardais bien vu la situation.
-Enchanté Sassanaide Kumiko. Répondait simplement Bohémon sans ne rien relever.
-Bien le bonjour à vous ! Vous nous accueillez dans votre camp, c’est bien le minimum que d’accepter de vous rencontrer. Ajoutait Fugand dès qu'il nous rejoignit.

Nous nous faisions guider par Bohémon, escortés de près par son immense homme de main, qui lui, le visage caché sous l'ombre de la capuche, ne décrochait jamais un mot. Partout où l'on passait, il était salué, et les résidents s'écartaient à son passage sans qu'aucune demande n'en fut faite. Insuffisant pour que je me laissais impressionner, car ce n'était pas le premier homme de valeur que je rencontrais, mais il fallait tout de même admettre que c'était admirable. Admirable compte-tenu de l'homme qu'il paraissait être. Roi ? Quand bien même, il régnait sur un camp misérable et lui demeurait un lépreux que je soupçonnais déjà plus proche de la fin que du début...
-Si tu n'étais pas surnommé Roi, je dirais qu'ils craignent la lèpre à s'écarter comme ça à ton passage. Osais-je affirmer pour le tester, même si j'y mettais la forme du respect dans le ton. Bohémon en avant de nous tirait un peu la tête vers l'arrière sans cesser d'avancer pour me répondre.
-Il y a certainement de ça, je reste lucide. Me répondit-il d'une voix douce, presque plus que la mienne...

Quand nous arrivâmes à sa tente, nous découvrions un endroit bien mieux tenu que la moyenne ici, preuve qu'il n'était pas n'importe qui une fois de plus. D'ailleurs, le mot "tente" n'était pas vraiment représentatif, puisqu'une grande partie de son endroit était en dur, fait de bois, posé là depuis clairement bien plus longtemps que le reste du camp. Si l'extérieur comme l'intérieur restait sobre et modeste, la propreté et l'entretien s'y ressentait. À peine éclairé par de nombreuses bougies, car il y faisait sombre sans fenêtre, lui se posait sur son propre fauteuil. Je voyais peu de dossiers sur le bureau, j'étais surtout plus étonné d'y trouver un jeu d'échec occidental. Je ne préférai pas m'asseoir pour ma part quand il nous le proposait, présentant des chaises archaïques face à son bureau et je le lui signifiais en secouant une seule fois la tête.
-Tu crains d'attraper la lèpre ? Me dit-il en me provoquant à son tour.
-Je crains d'être à l'aise. Lui répondais-je avec la même douceur dont il avait usé précédemment.
-Pourtant tu me tutoies alors que tes comparses militaires ne le font pas.

Je ne répondais rien à cela. Je sentais bien en le voyant qu'il jaugeait les personnes qu'il avait en face de lui, et nul ne juge, nul ne jauge, si ce n'est pas dans une intention de demander quelque chose derrière. Bohémon s'installait plus confortablement dans son fauteuil, son garde debout à côté de lui. Là, je m'attendais à un grand discours. Pourtant, que ce fut au timbre grave de sa voix ou aux mots qu'il choisissait, je trouvais là plutôt le désespoir que la manipulation.
-À 14 ans, j'ai vaincu une escouade Gracienne avec quelques hommes. Ce jour-là, je m'imaginais vivre 100 ans de plus. Maintenant je sais que je ne dépasserai pas la trentaine. Nous disait-il comme une fatalité.
-Comment tu l'as attrapé ? Lui demandais-je naturellement.
-Lorsque j'avais 8 ans, ma maison a été prise au milieu d'une bataille. Je ne sais pas qui combattait qui et quelle importance ? Mes parents morts, ma sœur, alors très jeune, a empilé les cadavres sur nous, pour que les chevaliers ne nous trouvent pas. J'ai attrapé la lèpre sous ces cadavres.

Je froissais le regard en imaginant toute la culpabilité qu'elle devait ressentir, et légitimement, je me demandais s'il avait pu lui en vouloir pour ça. Je ne ressentais cependant pas assez de gêne pour ne plus poser plus de question. Dans le malheur j'étais comme chez moi, c'était la joie et le bonheur qui m'étaient dérangeant.
-Tu lui en as voulu ? Lui demandais-je donc clairement.
-Non. Me répondit-il au tac au tac en sachant d'instinct de qui je parlais. Elle l'a fait pour que je vive, pour qu'elle puisse vivre aussi. Qui aurait pu prévoir ça ? Personne. Je suis lépreux, mais peut-être que si elle ne l'avait pas fait, je ne serais rien du tout... Nous avons vécu de mendicité et pour me nourrir, elle s'est prostituée. Jusqu'à ce que nous trouvions ce désert, avec un oasis, et un simple puits, où nous nous sommes installés. C'est là que les soldats ou les hommes en général d'ailleurs, quand il s'arrêtaient dans leur voyage, payaient pour ses services, pendant que je servais l'eau et la nourriture, nous avions montés une sorte d'auberge en quelque sorte. J'étais assez fort jusqu'à mes 16 ans, j'ai pu donc bâtir cet endroit où vous vous tenez.
-Et tous ces gens ? Comment ils sont arrivés là ?
-Zö, un vieil homme est venu un jour avec un bébé dans les bras. Il cherchait un abri, et nous le lui avons donné. Puis une autre famille de sa connaissance est venue, puis encore une autre, jusqu'à ce que vous voyez aujourd'hui soit sortit de terre. J'ai fait ce que j'ai pu, jusqu'à maintenant, pour donner un peu de dignité à tous ces oubliés du monde. Mon surnom est venu après mon combat contre l'escouade. Et ce sont les gens eux-mêmes qui ont appelés cet endroit, la cité de la joie. Aujourd'hui ils sont près d'un millier à fuir la guerre ici.

Zö, le vieil homme qui m'avait accueillit, et je présumais que le bébé dont il parlait était la petite fille ; Jill, celle que j'avais rencontrée en arrivant. Lucy était donc une prostituée par nécessité et ne sachant faire autre chose de sa vie, elle avait continuée. C'est ce que je supposais. Devais-je ressentir de la peine pour eux ? J'aurai dû, et pourtant, je ne ressentais rien, ce qui me faisait me sentir honteux, comme si ce fut mal de ma part. Je tentais de ne rien en montrer, à savoir si cela était réussi... Être glacial, ce n'était pas aussi simple que de le dire... Mais tout cela, nous trois, soldats, ils ne devaient pas nous le raconter pour le seul plaisir de parler de son histoire... Avant que mes comparses ne posent leur propres interrogations, ou pas d'ailleurs, je n'avais pu retenir ce que je considérais comme l'essence même de son histoire.
-La mort est assise sur ta couronne, Roi Lépreux. Lui disais-je bassement, en le regardant droit dans les yeux l'air sincèrement désolé.
-C'est pourtant toi, qui porte une faucheuse dans le dos, mercenaire. Me dit-il, et cela me surprenait, tout aussi désolé que je l'étais.
-C'est que j'espère un jour faucher le blé plutôt que des hommes... Finissais-je tristement.
Modifié en dernier par Cateric le mer. avr. 04, 2018 11:58 pm, modifié 1 fois.
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » mer. avr. 04, 2018 7:01 pm

Forcé de baisser la tête, je me sentais oppressé par une force obscure. Je n'avais pas le sentiment que c'était Bohémon, mais la situation, qui me compressait pour me pousser vers je ne savais encore quel malheur. Toujours, lorsque j'éprouvais de l'affection ou du respect envers une personne, tôt ou tard, il advenait un événement tragique et je sentais, avec le temps, qu'une nouvelle mauvaise expérience pointerait bientôt le bout de son nez. Je me fixais dans le silence, tant ce dernier échange m'avait laissé dans le doute. La jeune Kumiko n'était cependant pas en reste. Je me doutais que les autres soldats présents auraient sûrement leurs propres questions. D'autant que si Bohémon nous avait entraînés ici, et nous dotait à la fois d'autant d'intérêt et de considération, ce n'était certainement pas sans raison.
-C’est quoi ce truc ? Demandait Kumiko en faisant allusion au jeu d'échec.
Bohémon regardait un instant le jeu, et je sentis sans même le regarder que cela lui fit un grand plaisir qu'on le lui demande. Il cherchait à le cacher, mais j'étais de nature à sentir les élans du cœur et de l'âme assez facilement. Cela dépendait de qui j'avais en face de moi, et aussi de quelles choses il s'agissait, mais parfois, allez savoir pourquoi, le cœur "sait" sans que la raison ne lui aura soufflé sa logique.
-Un homme qui était venu ici, l'a fabriqué pour moi. Il m'a dit l'avoir rêvé, dans un monde unique, où les dieux sont des hommes qui écrivent sur des pages. Commençait-il presque amusé. Ce jeu ressemble au Shogi, mais il est plus simple, et surtout, dans celui-ci, le retour en arrière n'est simplement pas possible, la stratégie fonctionne ou ne fonctionne pas et c'est tout. C'est une chose que j'ai apprécié. Terminait-il sur un ton à la limite de la gravité.
-Il s'agit d'un jeu d'échec, c'est assez peu populaire ici, mais c'est sympathique. Commentait sur le moment Fugand.
-Ainsi les rêves peuvent se partager. Répondait étrangement Bohémon au soldat.
-Et ils ont dormi dans ta maison et tu les as égorgés dans leur sommeil ? Par ce que sans être vexante, comment un enfant de quatorze ans sans préparation pourrait réussir un tel exploit ? Reprenait Kumiko en faisant allusion au récit précédant de Bohémon.
Cela faisait se redresser le Roi Lépreux, qui prenait soudain une posture plus haute. Comme un sage qui voudrait donner une leçon à son élève.
-Des professionnels comme vous dites chez les vôtres,... La force brute à elle seule est capable de bien des prouesses. Mais allié à cela, dit-il en pointant sa tempe du doigt, faisant logiquement allusion à l'esprit humain. L'être humain, même sans le pouvoir de faire sortir un volcan du sol, peut tout réussir. Un homme, pour peu qu'il ait foi en ce qu'il fait, peut réaliser autant de miracles qu'un magicien ou un chevalier. Ce n'est que le chemin qui diffère, le début et la fin sont la même chose, ce qui importe, c'est toujours, le chemin.
-Et que comptez-vous faire pour votre sœur une fois la guerre finie ? Ajoutait Kumiko sans que je ne prenne le soin de jauger sa réaction.
-Je crois, hélas, que cette décision lui incombera, car je doute de voir moi-même la fin de cette guerre.

Bien défaitiste, me disais-je en entendant cette réponse, mais toutefois, pouvait-on dire aussi qu'il n'était pas réaliste ? Redressant le regard sur lui, je me disais qu'il tentait de jouer un jeu qu'il ne maîtrisait déjà plus. Je préférai en effet confirmer ou infirmer, ce que mon instinct me disait.
-Pourquoi tu ne dis pas simplement ce que tu nous veux...
Il me regardait, bien étrangement, ce n'était pas tant que je le voyais réclamer de la compassion, mais je le sentais dans le besoin, je sentais, qu'il se forçait à devoir répondre alors que l'envie n'y était pas forcément.
-Vous n'êtes pas les premiers soldats à venir dans ce camp. Je sais qu'il y en a eut d'autres, peut-être en ce moment-même. Mais vous êtes les premiers à l'avoir dit honnêtement. Mes éclaireurs m'ont fait savoir que la Division Blanche Gracienne cherche le groupe qui fait des coups de main sur les convoies Graciens qui passent par les routes non loin d'ici, à environ 100 kilomètres. Mon,... Groupe. Ils ne sont pas gardés par des mercenaires, les civils sont toujours bassement considérés par les vôtres et vos stratégies n'engagent pas d'attaque des convois de ravitaillements curieusement...
-La division de la mort... Ce n'est pas une armée de soldat, mais de bouchers, je les connais. Disais-je gravement en forçant le regard sur Bohémon.
-S'ils nous trouvent, ils raseront le camp, ils feront pire même... Je crains déjà qu'il puisse y en avoir parmi nous. J'ai besoin de protection... Mon camp, a besoin de protection.

Enfin, l'homme qui se tenait à côté de lui intervenait. Sa voix était celle d'un homme d'âge mûr et rompu à la violence, mais il émanait de lui une certaine forme d'honneur, même si je ne savais dire si ce fut dans le ton ou la posture de celui-ci.
-Nous avons une véritable armée prête à se battre. Ce ne sont peut-être pas des professionnels, mais notre cavalerie est capable de se battre correctement si elle est bien menée.
-La Division Blanche n'est pas à prendre à la légère. Il s'agit d'un millier de graciens. Des humains certes... Mais des monstres. Ce sont eux qui sont responsables du massacre d'Orandour. Ai-je besoin de rappeler ce qu'ils ont fait à leurs habitants ? Répondais-je gravement.
-Je croyais que vous étiez un rebelle, comme vos homologues ici présent. Me dit-il sur un ton que je prenais comme une provocation.

Là-dessus, je tournais un instant le regard vers Kumiko et Fugand. L'homme qui venait de s'affirmer avec tellement de confiance était immense, et on pouvait malgré tout se demander comment il parvenait à soulever l'énorme épée qu'il avait dans le dos. Malgré qu'il fut vraisemblablement un civil, j'allais jusqu'à supposer qu'il fut meilleur que pas mal de soldat que j'avais croisé sur les champs de bataille. Néanmoins, que lui fut un bon guerrier, ne faisait pas que son armée l'était tout autant. Quant à savoir si j'étais prêt à affronter une division gracienne...

Lucy comptait maintenant se rendre chez son frère, ne se doutant pas qui elle y trouverait en arrivant. Elle était inquiète pour de multiples raisons, la première étant en ce moment la façon curieuse d'agir qu'avait Nina. Elle avait bien une petite idée, mais elle était loin du compte. En bonne mère qu'elle se pensait être, elle savait parfaitement quelle relation Nina entretenait avec Joachim. Un client trop tendre et régulier pour que ce fut anodin. Si la visite qu'elle rendait à son frère n'avait rien à voir avec ce sujet, c'était pourtant ce qu'elle avait en tête tout le long du trajet. Elle avait laissé Hélène aux soins de Maëlis le temps qu'elle prendrait pour faire part de ses autres inquiétudes à Bohémon. Elle pensait, en effet, que la venue des Soldats, quoi qu'ils fussent tous aimables, ne présageait pas forcément que du bon. Aussi, elle voulait l'entretenir à propos de l'incident qu'il y avait eu avec l'homme en état d'ivresse.

Elle devait passer entre les tentes, mal agencées, entassées même parfois, avec les regards froids et livides qui se mêlaient à ceux de joie et d'espoir. Comme si le rêve et le cauchemar s'entrechoquaient furieusement dans la cité de la joie. Les provisions que son frère avait ramenées faisaient remonter les mines. Mais chacune des personnes qui avaient fuis ici, ne souffraient pas que de la faim ou de la maladie. Il y avait de ces maux, qu'aucune nourriture ou aucun médicament ne savaient guérir. Nina n'était pas encore rentrée, sans doute, avait-elle besoin de se retrouver avec elle-même, de se confronter à sa solitude pour trouver le courage nécessaire à la parole qui lui manquerait certainement à son retour.

Lucy, qui ne tarderait plus à atteindre le baraquement de Bohémon fut cependant retenu par l'un de ceux qui causait tant de soucis. Joachim, se présentait à elle, mal fagoté, l'air fatigué et triste. Ce qui avait toujours interpellé Lucy, c'était que malgré sa tenue et ses airs honteux, il avait l'air en parfaite santé et très bien nourrit, comme si le jeune homme ne venait pas du même "milieu" que la plupart des gens de ce camp. À peine leur regard se croisaient-ils, que le jeune homme baissait le sien, en retirant son chapeau. Lucy, qui se tint droite et sortit le regard inquisiteur, ne dit rien sur le moment. Elle croisait les bras, et attendait simplement que Joachim ose parlé. Ce qu'il fit après un court instant.
-Tu sais pourquoi je suis là ? Commençait-il bassement sans oser encore croiser le regard.
-Bien sûr. Tu veux emmener Nina loin d'ici avec toi ? Répondait vivement Lucy.
-Oui... J'aimerais que tu lui parles. Elle a l'air d'hésiter. Continuait-il en s'affirmant un peu plus.
-C'est à elle qu'appartient la décision ! Lui répondit-elle comme un ordre.
-Tu veux la garder avec toi ?
-Elle ne m'appartient pas. Si elle doit trouver son bonheur avec toi, je ne la retiendrais pas. Finissait-elle en baissant tristement le regard.
-Elle sera plus heureuse loin d'ici... Vous tous en fait. Vous devriez quitter cet endroit. Ensemble ou séparément. Mais vous devez le faire. Disait ensuite mystérieusement Joachim.
-Qu'est-ce que tu veux dire ? Demandait alors avec surprise Lucy.
-Gracia va vous tomber dessus. Crois-moi, il va le faire. Lui disait-il cette fois en la regardant droit dans les yeux.
Lucy était perplexe, elle ne le comprenait pas vraiment, et sentait qu'il n'y avait pas besoin d'insister pour en savoir plus, car le jeune homme n'allait certainement pas lui en dire plus. Elle avait raison. Il ne pouvait pas de son point de vu et il s'y serait refusé.
-Et toi, tu vas la protéger ? Lui rétorquait-elle alors comme une provocation.
-Je suis plus à même de le faire que n'importe qui ici.
-Je ne me mettrais pas entre vous deux. Mais ce camp, c'est celui de mon frère. C'est celui de tous ceux qui y vivent en fait. Gracia n'a que faire de nous.
-Ton frère a joué avec le feu. Demande-lui d'où il tire son ravitaillement et tu verras.
Lucy souriait à cela, trop confiante peut-être. Elle avait pourtant parfaitement compris l'allusion que venait de lui faire Joachim. Elle le soupçonnait déjà depuis très longtemps. Comment lui le savait en revanche, était trop étrange pour qu'elle ne tilt pas. Pourtant, elle ne comptait lui en demander plus à ce propos, trop accrochée au principe du droit au secret et à l'intimité qu'elle était. Elle se retournait pour repartir avant de conclure pleine d'assurance.
-Mon frère nous protégera tous, et si nous devons partir pour notre sécurité, il l'ordonnera.

Pendant ce temps, dans le baraquement avec Bohémon, son acolyte et les deux autres soldats, je me retrouvais dans une fâcheuse situation. Je m'étais fixé dans le silence, tel que je le pensais, les deux autres soldats auraient leurs mots à dire. Je prenais le temps que me concédaient les palabres de Kumiko à me confondre avec moi-même. Elle parlait du jeu d'échec, et faisait référence aux rêves qui aurait soi-disant inspiré la création de ce jeu. Mais le véritable intérêt était qu'elle se sentait, en bonne fanatique de la rébellion, tant investit d'une mission qu'elle concluait, comme Bohémon le présageait, à une aide nécessaire qu'elle serait en mesure de fournir.
-Je pense que votre sœur vous écoute plus que ce que vous semblez penser. La guerre ne dura pas tant que cela, et se pousser soi-même dans la tombe n'est pas une bonne idée. Les autres le font déjà bien assez, je vous rassure. Commençait-elle en revenant sur les idées noires du Roi Lépreux.
Mon visage se durcissait, car après cette guerre, la prochaine viendrait, pensais-je en me rappelant les discours impériaux de l'époque. Elle était bonne, fondamentalement bonne, et quoi que je n'arrivais pas à la suivre sur les chemins sinueux et dangereux des idéaux fallacieux qui prônent toujours la paix en finalité, son bon cœur résonnait dans le timbre de sa voix comme une mélodie du courage. Les autres se poussent bien assez dans les tombes clamait-elle. Mon Dieu qu'elle avait raison sur ce point... Toutefois, le Roi Lépreux ne répondit pas à cela. Il attendait, je pense une toute autre réponse de sa part. Et la jeune femme n'avait pas terminé.
-Voilà qui est très courageux de votre part en effet de combattre Gracia dans vos conditions, car je doute que les graciens hésitent une seconde à massacrer tout le monde présent ici. Surtout que ce camp n'est guère très mobile, alors quand vous deviendrez trop encombrant, on enverra quelqu'un avec mes capacités pour vous traquer. Continuait-elle tandis que Bohémon restait parfaitement immobile et silencieux. Je pense que si nous avions pu voir le visage derrière le masque miroir, il aurait souri. Mais nous avions pour le jauger que ce regard marqué par la lèpre dont un œil était sans doute aveugle...

De mon point de vue, il ne s'agissait pas de courage. Et ce devait être sans doute la vérité qui faisait se taire le Roi. Il s'agissait bêtement de survie. Lorsqu'un chien crève la faim, il se nourrit par tous les moyens, est-ce du courage pour autant ? Je ne crois pas. Elle mettait dans un camp un homme qui n'avait pas d'autre camp que le sien. Mais pour la convaincre, il devait garder le silence, je ne l'en blâmais, sans doute en aurais-je fait autant.
-Je vous arrête, mais si je me bas, ce n'est pas uniquement pour moi, mais également pour ceux qui ne le peuvent pas. Je ne peux pas accepter que Gracia puisse imposer sa loi cruelle sur notre pays. Continuait Kumiko plus durement, et cela me surprenait de voir un élan de lucidité venant d'elle, quoi que je restais toujours silencieux dans mon coin. Tuer des graciens ayant rejoint l'armée est-il vraiment une mauvaise chose ? Vous vous rendez bien compte que nous sommes uniquement de passage ? Nous ne resterons pas, nous avons une guerre à gagner. Cela ne me dérange pas d'aider un peu, mais ce n'est pas mon combat, je suis vraiment désolée. Je vous aiderai, mais d'une manière ponctuelle.

En réalité, ce n'était pas un refus catégorique, mais ce n'était non plus accepter ce que Bohémon nous avait demandé. Elle les aiderait donc, mais sans encore avoir dit comment. J'abaissais le regard, sentant déjà en moi quelques remous dont je me serai bien passé. Le garde du corps tournait son regard vers Bohémon, qui pour sa part, se décidait enfin à répondre. Il le faisait encore avec la voix fataliste, mais toujours si emprunte d'une certaine... Comment dire... Vérité.
-Le moins que vous puissiez donner sera toujours le mieux que nous pourrons accepter. Je vous remercie infiniment.
Enfin le compagnon de Kumiko intervenait. Cette fois, je bondissais hors de mes pensées tant le discours qu'il tenait me paraissait le plus réel de tous ici. Il était dur, mais plein de lucidité à mon avis.
-Une armée ? Qui se bat correctement ? N’allez pas prendre la grosse tête parce que vous avez réussi à détourner des convois de marchandises ou à éliminer quelques graciens imprudents, si la division blanche venait à apprendre que cet endroit et ses habitants sont responsables, le camp sera rasé avant la fin de la semaine. Notre aide n’y changerait rien. N’allez pas croire que je vous sous-estime, mais il faut être réaliste, dans un affrontement direct, vous n’auriez aucune chance. Si la rébellion a évidement envie d’annihiler cette division, je doute que ses hautes sphères vont se décider à bouleverser leurs stratégies pour venir sauver un camp de réfugiés, surtout si celui-ci s’est mis dans cette situation par ses propres moyens. Après, si mademoiselle a envie de vous aider, soit, on peut essayer de voir ce qu’on peut faire, mais honnêtement, je serais vous, je commencerais à préparer un déménagement en vitesse.

Un moment de silence flottait dans l'air, ce bref moment, paraissait bien plus long qu'il ne l'était réellement. Il était à la fois lourd et pesant. Bohémon fixait le soldat Fugand sur l'instant. Sans colère, mais on y ressentait tout de même une profonde réflexion et une mise au défis. Le garde du corps à son côté, qui devait se taire uniquement par respect demeurait plus agité, cela se ressentait. Pourtant, ce qu'avait dit Fugand était vrai. Aucune armée civile digne de ce nom, jusqu'à preuve du contraire, ne saurait défier une division gracienne. Et trois mercenaires dans la balance ne changerait rien, en vérité, affronter cette division, c'était simplement du suicide... C'est précisément ce qui en moi faisait monter la tension. Je l'entendais me parler, ma conscience et mon instinct. Cette bête monstrueuse, métaphore de ma schizophrénie peut-être, qui réclamait le sang et la saveur de la bataille qui s'annonçait comme désespérée. Je lui disais de se taire, je le lui hurlais, mais elle n'écoutait pas. La mélancolie est le propre de l’homme. Mon propre... Un dieu ne peut se l’accaparer ni le comprendre. Cette réflexion sur la recherche d’une conception de la vérité fait oublier tout le reste et forme un état de tristesse et d’inertie relative à un manque à combler. Entre ce qui existe et ce que l’on conçoit par pensée, la frontière n'est pas plus épaisse qu'une feuille de papier. Moi, douceur incarnée, visage d'ange et immaculé, j'étais enveloppé dans les ténèbres. Cette mélancolie qui me caractérisait se situait dans la colère et la folie. Relents d'un passé horrifique, dont je savais être la cause de l'enfantement de la noirceur qui m'habitait. Redressant le regard vers le Roi Lépreux, je vis qu'il avait déjà commencé à me fixer lui-même.

Je formais un mudra, tout tranquillement, tandis que je voyais ce moi intérieur sourire en dévoilant ses crocs. Ma décision était peut-être déjà prise alors que je n'en avais pas conscience. Puis cherchant, sondant, je l'annonçais en soupirant.
-Il y a quatre mana élevé dans ce camp hormis nous trois... Je vous aiderai. Mais vous, vous devez écouter le soldats. Vous devez partir. Et nous allons avoir beaucoup de choses à nous dire.
Je vis dans le regard le soulagement du Roi Lépreux, et son acolyte qui se détendait enfin. Comme si de nous avoir tous les trois était le sauvetage inespéré... En vérité, nous courrions peut-être à notre perte. Bohémon se fit alors entendre, et je sentais qu'il parvenait difficilement à dissimuler son soulagement, cela sans même relevé que je venais bien de ressentir le mana d'autres soldats, donc possiblement, ... Des ennemis.
-Je suivrai en partie vos conseils. Je réunirai sous peu, un conseil militaire, si tant est que l'on puisse le nommer ainsi.

Là, on vit entrer Lucy, qui ne cachait pas sa surprise de nous trouver tous là.
-Ha ! Je vois que vous faites connaissance !
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Cateric
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » jeu. avr. 05, 2018 9:35 am

Peu avant que Lucy arrive, Kumiko n'avait pu s'empêcher de faire une proposition par-dessus la réponse du Roi Lépreux. Cela imposait le silence tant à moi que son compagnon, et je dois dire, que, quoi qu'elle y mettait du rire et de la bonne humeur, je trouvais cela aussi excessif qu'il m'apparaissait présomptueux de faire sa proposition. Nos avions bien trop peu d'information pour envisager un plan concret et j'avais pour ma part, beaucoup d'interrogations encore. Elle m'apparut alors aussi impétueuse qu'imprudente en vérité.
-J'imagine qu'ils sont là pour récupérer des informations, et notre arrivée n'était pas des plus discrètes. La rumeur a dû se propager partout que la rébellion était arrivée, alors j’imagine que si vous désirez être tranquille, on va devoir faire un peu de bruits. Si vous êtes mis dans la case des soutiens à la rébellion, cela ne sera pas beau à voir. Rebondissait-elle. Vous n'avez pas beaucoup de choix possible. Soit vous jetez à la mort les combattants de ce camp, soit vous faites comme rester neutre dans cette affaire, soit vous aidez Elmoraden, mais c'est peut-être un peu trop tard pour cela. Il est important de comprendre, que ce camp, tout ça, ce n’est pas grand-chose, inutile de prendre des grands airs. Je ne peux que vous conseillez de rester en dehors de cela, que vous refusez la proposition de la rébellion. On fait péter des trucs à droite et à gauche, on en profitera pour éliminer les légionnaires qui ne pourront pas rester cachés bien longtemps et on repart. Les gens de ce camp doivent partir par la suite. Après, si vous désirez vraiment vous battre alors, il faudra en assumer les conséquences. Concluait-elle enfin.

Je vis la tête du garde du corps s'abaisser, comme s'il connaissait par avance la réponse de son maître, qui lui, n'avait pas l'air des plus enchanté à l'idée que son camp soit le théâtre d'un affrontement direct entre des mercenaires. Il m'avait regardé tout à l'heure et reportait le regard sur moi de la même façon, comme s'il sentait le désordre intérieure qui me tourmentait toujours, je m'en sentais d'ailleurs mal à l'aise même si je me faisais probablement des idées.
Je ne lui laissais pas le temps de répondre, pas plus qu'à Fugand, que je sentais aussi peu enclin que moi à donner suite à cette proposition. Je me montrais tempéré dans le discours et le ton, mais il était clair à la forme de mon regard que j'étais bien convaincu de ce que je disais.
-Un affrontement dans le camp pourrait simplement détruire le camp. Nous sommes des chevaliers et des mages je vous rappelle. Je m'y oppose, et j'ai encore beaucoup à demander à Bohémon avant de savoir comment agir. Soudainement, après cela, j'avais l'air désolé, autant dans le timbre que le regard que je tournais encore plus précisément sur Kumiko.
-Les mercenaires sont toujours de bons guerriers, mais décidément de mauvais stratèges. Les combats au milieu de ces civils n'engageraient rien de bon, et si ce sont des ennemis que j'ai senti, ce qu'on ne sait absolument pas, à leur place, c'est précisément des civils dont je me servirai comme bouclier face à des rebelles. La Division Blanche est une division de sadiques, certes, mais pas une division stupide. C'est ce qui les rend si dangereux d'ailleurs.

J'allais reprendre, mais je n'en eus pas l'occasion, car cette fois la voix de Bohémon retentissait avec force, non pas qu'il hurlait, ou s'emportait, car on entendit son souffle malade en souffrir. C'était bien qu'il y avait du cœur dans ce qu'il disait, du cœur, autant que de la fermeté. Son garde du corps redressait la tête dans le même temps, comme galvanisé par le simple discours de Bohémon.
-Quand bien même ce camp n'est pas grand chose, commençait-il en relevant la remarque de Kumiko, il reste le mien. Il est hors de question que des mercenaires s'affrontent en son sein.

Là, on vit entrer Lucy, qui ne cachait pas sa surprise de nous trouver tous là. Cela coupait court à la discussion, il était évident que chacun doutait qu'elle fût introduite dans les manigances de son frère et on ne voulait pas faire une gaffe.
-Ha ! Je vois que vous faites connaissance !
-Oui, c’est tout à fait cela ! On en est presque à boire un thé ensemble en se tapant dans le dos ! Lui répondait directement Kumiko.
-Je n'en aurai pas pour longtemps, mais je peux repasser, même si je préférai régler une affaire tout de suite.... Demandait avec un sourire gêné Lucy à son frère.
-Nous pouvons sortir s'il le faut. Proposais-je immédiatement après.
-Au contraire, vous êtes concernés, me rétorquait Lucy.

Bohémon penchait la tête sur le côté, tandis que pour ma part, je tournais mon regard sur lui. Il était clair que nous n'allions pas évoquer les soucis précédents devant Lucy. Il ne lui répondit pourtant pas, d'un regard, ils communiquaient tous les deux, prouvant de fait leur complicité, ce qui l'invitait à dire simplement de quel problème il s'agissait. Luka se grattait le menton alors, en reprenant...
-Un homme ivre a tenté de tabasser au bâton une de mes filles. Ce sont les soldats ici qui l'ont empêché finalement. Il accuse Maëlis de lui avoir volé plus qu'il ne lui devait pour sa passe.
-Elle l'a fait ? Demandait simplement Bohémon.
-Bien sûr que non ! Tu sais que tout ce qu'on récolte est redistribué au trésor pour la totalité du camp.

Voilà qui me fit un drôle de remous. Elle ne m'en avait rien dit. Pourquoi l'aurait-elle fait au final. Ainsi Bohémon, récoltait les bénéfices de Lucy pour les réinvestir dans le camp. Je ne savais que penser de cette méthode. Mais alors, cela sous-entendait-il que l'homme ivre se volait en quelque sorte lui-même ? Bien étrange situation dont nous étions témoins.
-Que faisaient les gardes que j'ai laissé ? Demandait ensuite Bohémon.
-Pardon ? Demandait Lucy à son tour avec surprise.
-Tu as dit que ce sont les mercenaires qui l'ont empêché de vous battre. Que faisaient les gardes ?
-Ils... Dit-elle hésitante.
-Où est cet homme maintenant ?
-Au poteau, les gardes sont finalement intervenu à la fin.
-Qu'il choisisse, l'exil ou la lapidation.

Lucy fit de grands yeux, la nouvelle ne lui convenait certainement pas. Pour ma part, je tournais un regard tout aussi surpris vers Bohémon. Une telle réponse m'étonnait de lui, jusque-là, je l'imaginais comme un homme doux et sage, mais là, nous avions clairement une preuve de cruelle fermeté. Je n'avais pas à m'en mêler. Mais la sentence me paraissait à moi tout aussi rude. Lucy, qui restait elle-même, ne comptait pas en rester là cependant.
-C'est trop ! Tu peux pas lui infliger ça. Tu sais qu'il préféra la lapidation. L'exil pour nous c'est comme condamner à la famine !
-Je dois maintenir l'ordre dans un camp sans discipline. Les gens ici ne sont pas des mêmes villages, des mêmes pays, certains ne parlent même pas la même langue. Si je suis laxiste ce sera bientôt l'anarchie.
-Il était ivre bon sang ! Ce n'était pas sa faute.

Le regard de Bohémon changeait du tout au tout, je sentais alors en lui, une force aussi profonde que tranquille, une volonté de fer en fait, je sentais, que rien ne pouvait plus atteindre cet homme sur qui la mort planait déjà, d'autant plus, lorsqu'il lui répondait en préservant sa fermeté.
-L'ivresse est une folie volontaire, il est responsable des pintes qu'il s'est mis dans le gosier. Ma décision est irrévocable.

Lucy, qui ne cachait pas son mécontentement au regard, ressortait directement ensuite sans ne dire un mot.
-Ce soir, le feu de camp sera le moment de la festivité, mais cet après-midi cet homme devra subir sa sentence. Dès demain, si vous l'acceptez, je vous ferai chercher pour tenir ce conseil militaire. Nous disait-il enfin en reprenant sa tempérance des débuts.
Je le regardais un instant, lui et son garde du corps, je n'étais pas choqué à l'idée qu'un homme soit lapidé, mais je l'étais à l'idée qu'il le soit pour si peu. À moins que je me trouvais sans ne savoir comment soudainement plus clément. Je ne lui fis qu'un hochement de tête en signe de réponse positive pour ma part, avant de sortir du baraquement. Certainement que les deux autres soldats et moi aurions besoin de discuter un peu entre nous avant de le revoir demain, ou même ce soir...

Bien avant cela, tandis que j'effectuais ma détection, Joachim venait de quitter Lucy. C'est là qu'il sentit mon mana perturber le sien et le détecter. Un vent de panique le saisit directement au cœur. Il ne savait pas que c'était moi qui venais de le découvrir, tout comme je ne savais pas que c'était lui que je venais de découvrir. Pourtant, alors qu'il était au beau milieu du camp, ce n'était pas aux mercenaires récemment arrivés qu'il songeait, c'est-à-dire nous, mais bien à la Division Blanche Gracienne. "S'ils m'ont retrouvé, ils vont tout brûler ici !" S'écriait-il intérieurement en se mettant à courir à toute jambe. Il se dirigeait vers la sortie du camp, c'est là qu'il croisait Nina, qui elle, y retournait.
-Nina !
-Joachim...

L'un était en panique complète, en sueur tant il avait peur, tandis que l'autre, était complètement désarmée et en dépression à cause de ses tourments. Mais Joachim lui attrapait le bras et la tirait en dehors du camp. Il le fit quelque peu violemment, et Nina, qui criait, jusqu'à attirer l'attention de quelques résidents d'ailleurs, ne comprenait pas cette façon d'agir, d'un homme qui l'avait si bien traité jusque-là qu'elle en tomba amoureuse.
-Mais tu me fais mal ! Tu es fou ! Lâche-moi ! Lui criait-elle alors que lui continuait de la tirer pour l'obliger à courir loin du camp.
-Il faut qu'on parte, dès maintenant ! Tout de suite, tu entends !
-Ce n'est pas aussi simple, je t'ai dit ! Mais tu vas m'écouter à la fin !
-Dépêche toi, je te dis !

Ils couraient assez longuement et il la lâchait enfin, une fois suffisamment loin du camp. Nina, en larme, le giflait directement, mais il ne répliquait rien du tout, se contentant de baisser les yeux devant elle, sans pouvoir retenir la tristesse et la honte sur son visage. Nina, qui en ignorait la raison, elle, n'avait que sa maladie en tête, et se mit à lui hurler dessus tant il lui fallait évacuer la tension qu'elle avait dans le corps.
-Mais qu'est-ce qui te prend ?! Tu es fou ! Hurlait-elle.
Là, il levait les yeux sur elle, elle y lisait tellement de honte que cela lui en glaçait le sang. Et c'est alors qu'il laissait s'échapper sa révélation, avec la peur au ventre que cela détruirait tout ce qu'il avait pensé construire avec elle.
-Je suis déserteur de l'armée Gracienne...
Nina sentit le monde s'effondrer autour d'elle. Son esprit fut paralysé, incapable sur le moment de savoir que répondre. Sous son silence, Joachim continuait.
-Je crois qu'ils m'ont repéré. Si on ne s'enfuit pas maintenant, ils vont tomber sur le camp, et quand ils verront que Bohémon attaquait les convois de ravitaillement de l'armée, leur punition sera terrible. Il faut partir ! Je t'en prie, viens avec moi, je t'en prie. Je ne suis pas comme eux. J'ai déserté parce que je ne voulais plus faire...
-Je...Je... Bafouillait-elle.
Il lui attrapait les deux mains, quand il sentit ses hésitations, n'ayant pas un seul instant conscience de tout le dilemme qui lui faisait presque perdre la raison. Il lui saisissait les deux mains, et les plaquait contre son cœur.
-Je te jure que c'est pour toi qu'il bat. Je suis un mage, avec moi, tu t'en sortiras toujours ! Je t'en prie, ne me quitte pas.
-Je...Je suis... Commençait-elle.
-T'es sacrément dans la merde. Fut-elle interrompue par une voix étrangère. Une voix, qui glaçait le sang de Joachim, jusque dans son œil, on vit une frayeur comme rarement il est possible, tétanisant. Mais il n'osait encore se retourner. Nina, relevait-elle le regard vers les hauteurs des immenses rochers qui les entouraient, ceux derrière Joachim, les mains toujours sur le cœur de son amant, qu'elle sentit battre si fort, qu'il ne l'aurait pas étonné qu'il explosât. Il vit là-haut, juché sur les rochers, quelques hommes, quatre hommes, étrangement vêtus, avec un masque blanc décoré d'une larme de sang. L'un d'eux, avec une voix grave, reprenait, alors que Joachim et Nina étaient figés dans le mutisme.
-On chasse le coyote et on trouve un déserteur. Un déserteur, et une femelle. Le boss va pas être déçu et nous non plus.

Joachim baissait la tête et serrait les dents sans se retourner. Il avait parfaitement reconnu l'une des voix qui s'était fait entendre. Nina le regardait, pleines de questions, et déjà effrayée elle aussi, mais ne bougeait pas, ni ne s'enfuyait, comme si le corps de Joachim était un obstacle suffisant pour sa sécurité. Joachim, était alors convaincu d'être le responsable de la venue de ce qu'il savait être des Graciens. Cependant, ce qu'il venait d'entendre vint lui mettre un doute. "On chasse le coyote et on tombe sur un déserteur ?" Avait-il entendu. Étais-ce une plaisanterie ou bien étaient-ils vraiment ici par hasard.
-Joachim... Murmurait Nina fixé sur lui, à demander des réponses et une solution.
-Surtout, ne dis rien ! Ordonnait en murmurant Joachim à Nina. Il lui fit un sourire rassurant, qui voulait surtout lui confirmer qu'il n'allait pas l'abandonner. Puis il se retournait. La peur le saisissait fermement au cœur, mais derrière lui, il sentait la chaleur de Nina, qui lui donnait le courage. C'est ainsi donc, pensait-il "le pourquoi de ce qui protège qui vivent plus longtemps". Redressant le regard vers les quatre hommes masqués. Il répondait enfin, imitant comme il pouvait la confiance qu'il aurait en lui.
-Je vous suivrai, mais la fille vous la laisser partir. Dit-il en s'adressant directement à celui qui avait la voix la plus grave et la plus rauque.

Les quatre hommes masqués n'ajoutèrent rien sur le moment. Le regardant silencieusement, et en particulier celui à qui s'adressait Joachim. L'un deux sautait du rocher et fit quelques pas vers eux, mais en conservant une distance de sécurité raisonnable. Son œillade se portait vers le camp de réfugiés, que l'on voyait plus loin à l'horizon et dont quelques fumées s'élevaient déjà.
-Avec les coups de main de la rébellion sur les convois de ravitaillement, on crève la dalle. Ils en ont peut-être eux de la bouffe ! Dit-il sans quitter le camps de réfugiés des yeux.
-Si ça pouvait nous éviter de chasser dans le désert... Commentait un autre d'un timbre plus aigu.

Nina comprenait alors toute la gravité de la situation, et quoi que la sécurité du camp l'importait, elle s'en voulait de vouloir à tout prix sauver sa propre vie d'abord. Joachim, qui préférait éviter le pire, intervint assez maladroitement pour dissuader les hommes d'une attaque.
-Ce sont des réfugiés de guerre... Ils crèvent la dalle encore plus vous !
-Et comment tu sais ça toi hein ? Demandait l'homme masqué à la voix rauque. On sentait déjà l'accusation, et même la réponse, dans le ton qu'il avait mis dans la question. Il suspectait en effet déjà Joachim d'y avoir séjourné. C'est de là que tu viens pas vrai ? Alors c'est là que tu te cachais tout ce temps. Continuait-il. Un gracien, planqué parmi des civils. C'est comme un dieu qui se cacherait parmi les mortels. Peut-on faire plus bas...
Nina saisissait le bras de Joachim, qui lui était maintenant de dos. Mais lui ne dévisageait que l'homme à la voix rauque.
-Depuis quand tu as rejoint les escouades d'éclaireurs ?
-J'aime changer de section, ça rend polyvalent. Lui répondit-il.
-Finissons-en avec lui, il sera exécuté de toute façon. Quant à sa femelle... Les coupait un autre homme masqué.

Joachim savait parfaitement ce qui attendait Nina s'il l'abandonnait ou mourrait. Mais il savait aussi que ces hommes, quoi qu'il ne les connaissait pas tous, risquaient de le tuer plus facilement qu'il ne l'espérait. L'homme à la voix rauque, qui après avoir longuement observé le camp renvoyait ses yeux sur Joachim répondait finalement à ses hommes.
-La fille, ne la tué pas quand vous aurez fini, vos camarades seront sans doute ravis du cadeau.

Il y eut un moment de flottement silencieux, comme ce qui arrive souvent, lorsque l'on sait que le combat est inévitable. Joachim s'était déjà préparé à un plan, paniqué, mais qu'il jugerait efficace. L'un des hommes masqués lançait un simple poignard, histoire de commencer. Celui-ci ne devait servir que de distraction à un autre des hommes masqués, mais Joachim répondit promptement d'une technique. En joignant les mains, il fit s'élever du sol, tout autour de lui, un cocon de sable.
-Salopard ! Criait l'un des hommes masqués. Empêchez-le !
-Foutu mage. Rageait un autre en crachant de sa bouche deux gerbes de flammes qui n'eurent aucun effet. Putain ! Commentait-il d'ailleurs en voyant cela.

Joachim et Nina étaient rapidement plongés dans le noir du cocon de sable. Aucune lumière ne passerait, mais la protection était suffisante pour les maintenir en vie, lui n'avait qu'à rajouter du mana pour combler les brèches que les hommes masqués pourraient faire. L'homme masqué qui avait la voix rauque, demeurait plus calme, il semblait plus vieux et plus expérimenté que les trois autres. Il n'avait pas bougé et réfléchissait encore quelques secondes tandis que les autres continuaient de faire leur programme.
-Tu as des sortilèges d'eau toi ? Pour mouiller sa saleté de sable.
-Non...
-Personne dans l'escouade n'en a.
-Fais chier ! On va quand même ne pas se barrer et les laisser hein !
-On peut pas tout faire sauter avec les sceaux non plus. Ni utiliser aucune technique trop bruyante, on risquerait de se faire repérer par le camp et ils décamperaient. C'est la merde quoi.
-Glaswow. Appelait l'homme à la voix rauque en coupant la conversation.
-Oui ?
-Envoie un oiseau magique à Serafi. Qu'il fasse venir tous les éclaireurs. Et un autre directement à l'armée principal, je suis sûr que le boss en a terminé avec l'armée rebelle au nord. Et explique leur bien la situation, y comprit la présence du camp.
-Mais... Ça va leur prendre des heures, de tous se réunirent ici. Ils ne seront pas là avant le crépuscule.
-Fais ce que je te dis. Ce soir, avec un peu de chance, ce sera orgie ! Et pense bien à donner les coordonnés du camp, qu'ils puissent l'encercler directement. Avec toute l'armée à nourrir, je suis certain que le boss va sauter sur l'occasion de ce camp.

Le gracien qui venait de recevoir un ordre de l'homme à la voix rauque s'exécutait donc. Il écrit un grand nombre de messages sur des feuilles, un petit paquet, qui une fois pliées en oiseaux par son mana, s'envolèrent pour transmettre les messages aux différents destinataires.
Dans le cocon de sable. Nina larmoyait, alors que Joachim réfléchissait. Il avait entendu tout ce qu'il venait de se dire à l'extérieur, et savait donc l'attaque du camp imminente. Des graciens de présent, et l'homme à la voix rauque, qu'il connaissait celui-là, le seul méritant le rang d'officier dans le groupe qui les encerclait. Il était d'ascendance Akuzu, et l'un du plus sanguinaire de la division Blanche gracienne. Heureusement, Joachim se savait proche du même talent, donc suffisamment fort pour repousser beaucoup des graciens de la division. Ce n'était que quatre légionnaires qui leur faisaient un siège, assis autour du cocon de sable en attendant que leurs alliés arrivent. Pourtant, cela suffisait à maintenir Joachim et Nina terrés comme des lapins dans leur tanière.

Joachim, tentait de rassurer Nina, qui ne pouvait pas s'empêcher de chouiner. Elle s'inquiétait pour elle, pour Lucy, pour ses amis, pour le camp. Elle sentait la peur et le désespoir au fond d'elle. Avec la maladie qui lui rongeait encore le corps, une maladie dont elle n'avait toujours pas pu lui parler. Joachim, la prenait dans ses bras dans le noir, lui disait des mots rassurants, lui promettait que tout allait s'arranger. Cela alors qu'il n'y croyait même pas totalement lui-même.
-Ils voulaient me violer... Finit-elle par lui murmurer avec gravité.
-Je ne laisserai personne te toucher vivante. Lui affirmait fortement Joachim.
-S'ils me violaient tous, l'armée gracienne... La guerre serait peut-être finie. Répondit-elle tristement.
-Mais qu'est-ce que tu racontes ?! S'emportait-il.
-J'ai la syphilis... Tu risques ta vie pour une morte en sursis. Concluait-elle en baissant le regard, les yeux, comme la voix, pleins de fatalité.
Les lèvres de Joachim se décollaient, ses jambes en tremblaient, et titubant, sans ne plus pouvoir se tenir, il tombait assis contre la paroi du cocon de sable. Il devait digérer le choc. Il devait trouver quelque chose. Mais quoi ? Nina, elle, alors qu'il ne la voyait pas, lui souriait, pleine de peur, mais sa plus grande peur n'était pas la guerre, l'armée gracienne, ou qu'elle se fasse violer. Sa plus grande peur était que Joachim décide de l'abandonner. Joachim, se mit alors à rire, rien à plein poumons, nerveusement, et à pleine joie. Nina ne comprenait pas, et n'y répondait pas, puis il lui répondit enfin.
-Les graciens ont de bons médecins, les baiser ne les tuerait pas ! Lui lançait-il comme plaisanterie.
-Je...
-Tais-toi ! La coupait-il alors qu'elle allait reprendre.
-Pour le moment, on survit ! Et on le fait ensemble !
Ce n'était pas la réponse qu'elle attendait, même pas du tout, et pourtant, elle ne put l'empêcher, ce petit sourire, à ces mots qui lui réchauffait un peu le cœur.

Dans le camp, je crois que tous, nous étions loin de nous douter ce qu'il se tramait si loin de là. Nous venions de sortir, avec Kumiko et Fugand, congédié par Bohémon. Nous venions d'en apprendre beaucoup pour si peu de temps en comparaison, et pourtant, en réalité, il me semblait que nous en savions encore si peu. À peine étions-nous sortis, que Bohémon, fixé sur son fauteuil, s'adressait directement à son garde du corps.
-Tu leur fais confiance ? Lui demandait-il sans cacher le doute à son timbre.
-Je n'ai confiance qu'en toi. Répondait aussi sec le garde du corps. Pourquoi tu as inventé cette histoire d'éclaireur ? On n'a pas de nouvelles de nos espions depuis des mois. On en sait rien si Gracia nous traque.
-Je crois que le mercenaire à l'armure blanche a soupçonné ça. Gracia nous tombera tôt ou tard dessus, et la division Blanche est bien sur ces terres. Ils pourraient nous massacrer juste par plaisir, je devais trouver une raison.
-Quand ils l'apprendront, il se peut qu'ils nous abandonnent.

Bohémon, regardait son jeu d'échec sur la table. Une partie y était en cours, une partie qu'il n'avait jamais terminé, avec l'homme qui lui avait taillé dans la roche les pièces de ce jeu, tandis qu'il avait réalisé lui-même le plateau.
-Va les escorter jusqu'à leurs tentes s'il te plait. Concluait Bohémon sans quitter du regard son jeu.
Et le garde du corps se rendait à la sortie.

Dehors, je m'attendais à ce que les deux autres soldats s'adressent directement à moi, mais Kumiko préférait s'attarder sur Lucy, qui était encore là, à réfléchir. La sombre sortit une bourse et la tendit à la putain. J'en inclinais la tête, en me demandant sur le moment s'il n'était pas finalement de l'autre bord, et donc que je m'étais trompé sur ses relations avec Fugand. Mais avant que je ne me dis qu'elle touchait à la fois au chocolat et la vanille, ce qu'elle disait à Lucy en lui donnant cette bourse me donnait des réponses à mes questions.
-Tiens, va acheter des provisions à votre magasin et propose lui de partir avec ça à la place de mourir, il devrait se diriger davantage vers le sud, c’est tout de même plus vert qu’ici...

Ce souci de l'autre qui caractérisait de plus en plus cette Kumiko. Elle me faisait maintenant penser à un chien de berger qui se cacherait sous la peau d'une lionne. Elle n'avait donc pas pu s'empêcher de vouloir s'en mêler, pour sauver un homme qu'elle avait pourtant repoussé pas plus tard qu'aujourd'hui. Je tournais mon regard sur Lucy à cet instant, intrigué de voir comment elle prendrait la proposition, et si elle prendrait l'or du moins. Et souriant, elle prit la bourse. Cela m'étonnait sur le coup, mais lorsqu'elle répondait à Kumiko, je l'étais bien moins.
-Vous avez vécu dans une famille aisée ? Les gens riches de naissance pensent toujours que l'or suffit à réparer, à soigner tous les malheurs. Si je lui donne cet argent, qu'il s'enfuit, qu'est-ce qu'il fera ? Il le dépensera en boisson dans le premier village venu, et finira tout aussi mal qu'il le pourrait ici. Et quand bien-même, il cesserait de boire, où il irait ? Les gens qui viennent ici y sont parce qu'ils n'ont plus nul part ou aller. Vous croyez qu'une somme d'argent va changer cela ? Cet argent ira au trésor commun, je vous remercie pour votre don. Quant à cet homme, il choisira son destin, jamais, je n'irais contre la décision de mon frère, jamais. Dame Kumiko, je ne veux pas froisser une elfe noire si bien attentionnée, mais sachez qu'on ne soigne par l'âme d'un homme avec une bourse.
Lucy s'était adressée à Kumiko avec bien de la douceur, celle si simple et si naturelle qui faisait la séduction de ces femmes légères, au point qu'elles délestaient les hommes de leurs malheurs intérieurs. Difficile d'argumenter contre elle à cet instant, quoi que ce n'était pas impossible. Je n'allais pas en laisser le temps à Kumiko pourtant, préférant pour couper court à cet "aimable échange", en répondant à la remarque qu'elle m'avait fait. J'ouvrais alors les lèvres, mais comme si elle m'avait devancé, elle me parlait directement. Laissant Lucy, avec sa bourse dans la main qui n'était pas moins intéressée par ce que nous nous racontions.

-Vous savez, que vous le choisissez ou non, si ce sont des graciens et qu’ils se sentent repérer, ils se pourraient qu’ils agissent immédiatement. Alors il vaut mieux être l’instigateur que de se faire attaquer par surprise. Il vaut mieux toujours choisir son champ de bataille plutôt que de se le faire imposer par l’ennemi. Je suis consciente qu’il y a des civils partout dans ce camp, je le sais bien.
Je plissais le regard sur Kumiko quand elle terminait, mâchant patiemment ma réponse, mais Fugand intervint à son tour sans se faire attendre.
-Une chose est sûre, tout le monde dans le camp a dû finir par entendre parler de notre arrivée. Trois mercenaires en deux jours, s’il y a vraiment des infiltrés dans votre camp, ça devrait accélérer les événements à suivre. Cependant, je reste sceptique sur l’identité de ces mages intrus, je ne vois pas l’intérêt pour l’armée gracienne d’envoyer des hommes en infiltration ici. S’ils avaient le moindre problème avec vous, ils auraient déjà rasé le camp, ils ne sont pas du genre à prendre des pincettes. Mais comme vous l’avez fait remarqué, il s’agit là de son camp et de sa décision.

Double réponses pour le soldat Fugand. Bien de subtilités j'entendais là étant donné la situation. Il était clairement plus proche de ma façon de penser que ne l'était Kumiko. Mais là, on vit sortir le garde du corps du baraquement de Bohémon. Cet homme, immense, dont l'épée dans le dos, caché derrière sa cape, sonnait aussi lourdement que son armure. Il nous découvrir tous les quatre, Lucy, Kumiko, Fugand en pleine conversation, mais ne semblait pas y accorder une grande importance. Pas plus qu'à la bourse que tenait dans les mains Lucy.
-Bohémon me demande de vous escorter jusqu'à vos tentes. Nous dit-il simplement.
-Je dors chez Lucy ce soir. Et je doute qu'aucun de nous n'ait besoin de l'escorte d'un civil. Lui disais-je aussi honnêtement qu'avec un brin de provocation. Je souriais en même temps en effet, un très léger sourire, car il me tardait de vérifier quelque chose que je soupçonnais. Il ne perdait pas immédiatement son sang-froid et je n'en attendais pas moins de lui, mais il ne cachait pas son mécontentement autant dans le timbre que le verbe.
-Vous les militaires. Toujours au-dessus de tout et de tout le monde. À tondre les civils comme des moutons. Jamais vous ne donnez la pièce après vos passages et vos aigreurs. Me dit-il en me fixant du regard sous sa capuche, car même si on ne voyait pas son visage à l'ombre de celui-ci, je savais qu'il me fixait. Ce que je ne me privais pas de faire moi-même encore, tandis que sans perdre mon propre sourire, je lui répondais comme une leçon que je donnais.
-Quand il dévore le mouton, le loup ne demande pas pardon.

Il dégainait aussi sec son arme. Une épée bien trop énorme pour être qualifiée d'épée, tant ni la taille ni le poids n'auraient dû la rendre maniable par un simple civil. Sa portée fit qu'il n'eut pas à bouger pour m'atteindre. La brandissant et frappant par-dessus moi comme une épée de Damoclès. Je portais ma faux en avant, confiant, pour parer son épée du dos sa lame en la tenant debout. Mais ce fut une surprise, une énorme surprise. J'avais dû utiliser mon mana pour contenir la violence de son coup, si puissant, qu'il m'aurait découpé en deux. Malgré mon boost de force, le pied de ma faux se plantait légèrement dans le sol sous l'impact qui fit sonner les deux aciers comme une cloche d'église, et je relevais un regard étonné, vers l'épée, bloquée sur ma faux, et sur cet homme. Un petit nuage de poussière s'était soulevé à l'impact, défaisant sa capuche et nous le dévoilant. Mais moi, sur le coup, au-delà de la violence qu'il avait réussi à mettre, je ne pensais qu'une chose "Pas de mana ?!" Ce coup était porté à la seule force brute de cet homme. Ce qui le rendait en quelque sorte "surhumain" il fallait dire.

Il me fixait, avec violence, l'envie du sang, la soif de combat et de mort, je la sentais sur lui comme on sentait l'alcool sur un soûlard. J'aimais ça à un point qu'il n'imaginait pas. Sans bouger ma faux, j'approchais mon visage de sa lame, sans qu'il ne bougeait lui-même plissant un regard intrigué sur ce que je faisais, puis je soufflais dessus jusqu'à faire de grands yeux. "elle est parfaite !" M'étonnais-je sur son épée. Là Bohémon sortit, sûrement qu'il entendit le tintement des deux aciers. Lucy portant la main à la bouche lors du moment du choc n'avait d'ailleurs pu s'empêcher de crier.
-Non pas ici !
-Qu'est-ce que tu fais Batz ? Demandait alors Bohémon à son garde du corps une fois qu'il fut sortit.
-Je montre les crocs du chien au loup. Répondit-il en redressant sa main pour remettre la lame dans son dos.

Un civil de cette trempe ! Combien j'en rencontrerai dans ma vie ! Il avait donc réellement sentit la bête ? Il avait entendu loup noir en moi grogner de plaisir ? J'en doutais, mais il avait senti quelque chose.
-Je t'ai demandé de leur montrer leur tente... Pas de te battre contre eux. Lui dit-il ennuyé et ferme.
-C'est ma faute, intervenais-je. Je retrouvais aussi rapidement que je l'avais perdu mon calme et ma nonchalance apparente. Puis je continuais de m'adresser à Bohémon. Je voulais tester la bête désolé.

Lucy faisait alors des mouvements de mains pour attirer notre attention et forçait le sourire comme le ton vers la détente, car elle visait sensiblement l'apaisement de chacun.
-Houlaaaa y'a beaucoup trop d'hormones là calmez-vous messieurs !

Mais j'étais déjà calmé. Ce que je pensais alors, c'était que ce n'était donc pas cet homme dont j'avais ressentit le mana. Mais même si cela aurait soulever bien d'autres questions, force était d'admettre que mes instincts ne voulaient plus qu'une chose, le voir ou l'affronter en combat ; il fallait que je m'éloigne et vite...

-J'imagine que cela va mieux ?
Nous commentait finalement la situation Kumiko, alors que Batz et moi-même avions déjà remis l'arme au fourreau. Le chien de garde, le chien de berger, peut-être, venait de faire une démonstration au loup que j'étais. Chien de berger, le loup est dans le pré ! Et le chien montrait les crocs comme il le disait, pour dissuader le loup de dévorer les moutons. Mais je n'étais pas de cette meute-là. J'étais le loup solitaire, aux crocs bien plus acérés que ceux de la basse extraction, j'étais le loup fou, le loup sombre et ténébreux, au poil hérissé, qui s'assouvissait à se repaître de créatures toujours plus imposantes. Les loups qui se nourrissent de moutons ne sont pas des vrais loups sauvages. Les vrais loups chassent en solitaire ou en meute de plus grosses proies, des sangliers, des ours, et d'autres loups, ou enfin, d'autres chiens ; ceux qui errent depuis l'enfance, ceux qui luttent pour leur survie, ceux, qui sont seuls, à savoir, ce qu'est de vivre réellement, combattant la charge ; de la vie. C'est bien ça, que je reconnaissais dans ce civil, qui tuerait sans difficulté la plupart des soldats. C'était ça que je reconnaissais, la survie ! Ce chien de guerre rendu docile par ce Roi malade, était l'expression de la violence au moins autant que je l'étais. Une violence différente néanmoins, mais présente. J'en éprouvais des envies de cannibalisme !

Le paradoxe trouvait bien d'expressions en un instant si étrange. Tous les six réunis proche du baraquement de Bohémon, il y eut un instant de silence, mit à profit par le chien et le loup qui s'observaient en remuant de la queue, battant le vent de celles-ci, et se tournant autour, comme deux animaux en chasse. Bon Dieu, que j'avais en soit uniquement soif et faim que de vie, et c'était sa vie à lui, tout de suite, que je voulais dévorer. J'ignorais le commentaire de Kumiko, et Bohémon en fit autant, nous regardant tour à tour Batz et moi. Mon instinct qui le réclamait pour lui seul, je le réprimandais en sachant que j'allais m'en aller pour éviter un carnage. J'envisageais déjà de repartir avec Lucy vers sa tente à fin d'y décharger le trop de tension que j'avais dans le corps, tant je puais la mort et l'envie de tuer, que cela ne pouvait sur le moment selon moi se résoudre que par cette basse mais efficace solution.
-Je croyais que c’était ce soir les festivités, je ne me suis pas encore échauffé moi, gardez en pour tout à l’heure ! Intervenait Fugand pour rompre le silence, lui aussi sur un brin d'humour.

Le rire enlevait sa gravité à bien des drames, le rire et l'humour faisaient se soigner les torpeurs, les peurs, les malheurs, et les folies. Mais le rire et l'humour pouvaient aussi être aussi noir que la nuit pleine. Ainsi, quand je souriais diaboliquement en regardant encore Batz, qui me toisait désormais calmement, sans se cacher au regard de n'éprouver pour moi, sur le moment, que du mépris, c'était en songeant à quel plaisir j'éprouverai en le perçant de ma lame. Toutefois, et heureusement, je gardais encore le contrôle, et commençait, tandis que je détournais mon regard de lui, à me diriger vers Lucy pour lui dire que je l'accompagnais.
Tout cela n'avait pas échappé à Lucy, et quand nos regards se croisaient, je vis pour la première dans son œil l'incompréhension, qui écrasait sa simplicité et sa bonne humeur habituelle. Kumiko s'en allait alors murmurer quelque chose à son comparse Fugand, une chose que je ne pouvais pas entendre, et ce murmure n'échappait à personne. Il faut dire qu'elle n'y avait pas mis beaucoup de discrétion. Fugand lui répondait lui aussi en murmurant, ajoutant de la suspicion dans le regard de Bohémon, de Batz et de Lucy. Moi en revanche, je m'en moquais, sachant ces deux-là proche, je trouvais normal qu'ils aient leurs petits secrets et je doutais qu'il s'agissait d'un plan machiavélique, ce n'était pas le genre de Kumiko de ce que j'avais pu déceler chez elle, même si Fugand me paraissait être capable de bien plus viles machinations.
-Pourquoi ne pas directement nous indiquer où c’est ? L’heure de dormir n’est pas encore arrivée et je n'arrête pas d’entendre parler d’un feu de camp et de festivités, je n’ai aucunement l’envie de louper cela ! J’espère qu’il y aura des joueurs prêts à parier ! Quoique, ici, ça ne doit pas voler bien haut niveau mise… Ajoutait enfin Fugand avant de rire un peu, il fallait dire tout seul.

Je me redressais sur le coup, plus qu'intéressé par ce que je venais d'entendre. Une facette du mercenaire qui m'intéressait au plus au point, et alors que je n'étais même pas parvenu jusqu'à Lucy, que je me retournais vers lui tandis que Bohémon lui répondait et que Batz et Lucy en buvait de fait les paroles.
-Le camp est grand, très grand, vous risqueriez de ne pas trouver et de vous perdre. Escorter était un mot mal choisi pardonnez-moi et Batz également. Il ne doit vous accompagner que pour vous indiquer l'emplacement et je vous prie d'excuser son attitude encore une fois, c'est un homme qui a vu beaucoup de choses dans sa vie, il est parfois un peu sanguin.
Lucy me voyant me retourner allait m'interpeller, mais son frère parlait, elle perdit son attention sur moi qui me rendait directement vers Fugand. J'en avais oublié le garde du corps même. Lucy en rajoutait par-dessus son frère le temps que je me rende à lui. Des paroles prononcées sur le ton de la douceur et de la bonne humeur, égale à elle-même en somme.
-Il semblerait que les mâles soient un peu trop d'humeur à la confrontation et des excès de virilité. Je pourrais peut-être m'en charger à la place de Batz ?
-Fais comme tu veux. Répondait à cela indifféremment le garde du corps et l'on pouvait alors deviner le sourire apaisé de Bohémon.
Moi, j'atteignais Fugand, me rendant à lui d'un pas décidé et nonchalant, le sourire sur mon visage n'était plus diabolique, mais provocateur, une sorte d'amusement malsain en transpirait, tout emprunt de la sainteté innocente qui rayonnait sur les traits fins et purs de mon visage accompagné de ce regard bleu brillant de malice. Ainsi, le paradoxe se confirmait, en faisant du morbide une idée sainte de l'existence.
-Tu aimes parier ? Demandais-je innocemment. Jouons un peu, j'ai une mise à la hauteur des espoirs de tous les vrais joueurs qui aiment le frisson.
Je fouillais rapidement mon armure, pour en sortir une pièce, somme toute banale, mais très usée. D'un coup de pouce, je la fis voler entre Fugand et moi, et l'attrapais dans son vol aussi sec. Quand la pièce fut enfermée dans mon poing, je sourirais encore, mais en plongeant mon regard dans celui de Fugand. Je n'avais pas pu me retenir, je voulais le tester lui aussi, et c'était ainsi que ma folie ressortait le plus gravement, car bien que je sourisse et que j'avais l'air plus qu'enjoué, il était clair au ton que j'étais tout à fait sérieux.
-Moi aussi ! Quand j'ouvrirai la main, face je te tue, pile tu vis. Disais-je en laissant un instant de silence flotter avant de reprendre en penchant la tête tandis que j'exultais. Quand tu joues avec la mort, il n'y a qu'une seule mise possible. La vie a un prix vois-tu, mais elle ne peut le payer qu'une seule fois.
-Heuuu... Tu t'emballes là, ça ne va pas ? Osait me demander Lucy craignant, pour sa part, que la face apparaisse lorsque j'ouvrirai la main. Mais je l'ignorais, ne lui répondais pas, et faisais fit même du jugement que me porterait chacun de ceux présent, à commencer par Fugand, que je ne quittais pas du regard pour voir comment il agissait face à la possibilité de devoir réellement risquer sa vie sur un simple paris.
-C'est bidon, lui, il risque rien... Commentait à son tour Batz, que j'ignorais aussi. Seul Bohémon, qui sans trouver cela particulièrement excitant, était fortement intrigué par le discours que je tenais à propos de ce jeu en apparence des plus stupide.
-Jouer de l'argent c'est facile. Surtout pour un mercenaire qui en a. L'argent ça se refait, mais la vie, ça c'est du sérieux. Qui est assez fou ou courageux pour jouer sa vie pour rien ? Le courage hein, il n'y a que face à la mort qu'on sait ce que veut dire le mot courage, ce genre de paris on est bien peu à le faire. Disais-je alors beaucoup plus sérieusement sans quitter Fugand du regard. Batz, qui jusque-là trouvait cette démonstration stupide, était maintenant beaucoup moins catégorique, il saisissait parfaitement ce que je venais de dire, et comme Bohémon, il plissait le regard sous le poids d'une vérité qu'il ne connaissait que trop bien. Alors, j'ouvrais la main, lentement, en souriant.
-Pile... Dieu, destin, providence, chance, statistique, peu importe le nom, est de ton côté aujourd'hui. Je rangeais la pièce dans l'armure en perdant le sourire et retrouvant mes airs tout à fait calme et désintéressés.

Lucy perdit de sa joie et de sa bonne humeur, découvrant la folie sous ce nouveau jour dont j'étais capable autant que d'amour et de tendresse. Insaisissable que je lui apparaissais, je ne pouvais voir son regard me prendre en pitié, car elle se trouvait dans mon dos. Une pitié qu'elle me portait d'autant plus en murmurant, juste assez haut pour être entendu de Kumiko, mais pas de nous autres.
-Il faut être sacrément seul, pour accorder si peu d'importance à la vie d'autrui, ou à la sienne... Il me fait de la peine. Elle avait en effet compris, pour sa part, que je n'accordais pas la moindre importance à ma propre vie, que j'étais capable de mettre sur la table du jeu de la mort sur un coup de tête, pour le gout du risque, ou parfois même pour des raisons bien plus obscures que je ne partageais jamais.
-La faucheuse ne tue donc pas au hasard ? Se permettait alors comme allégorie peu subtile Bohémon.
-Des études très sérieuses ont montré que si tu manges sainement, fais du sport et ne consommes ni drogues, ni alcool.. et bien, tu mourras quand même... Le hasard n'a pas de certitude, or, la mort, est, une certitude. Lui répondais-je tout à fait sérieusement malgré l'ironie de la phrase.
-On devrait y aller. Tes amis sauront bien se débrouiller seuls je pense... Tentait de temporiser Lucy.
-Je vais les accompagner moi-même finalement. Dit finalement Bohémon faisant allusion aux tentes qu'il avait assigné à nous autres les soldats. S'ils le veulent bien.

Batz me regardait, alors que je me détournais déjà de Fugand pour retourner vers Lucy, que je comptais de toute façon suivre quelles que soient les décisions des deux autres. Le garde du corps accompagnerait de toute façon Bohémon, c'était une certitude. Retrouvant un peu mes esprits d'une certaine façon, je savais qu'il me fallait me calmer, et calmer surtout les instincts. Je ne venais de me laisser un peu trop allé et je le savais. Un brin de folie, même si tenter sa chance est toujours un peu de folie, je savais que j'aurai dû me contenir mieux que cela, sombre assassin et imbécile que j'étais.
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Message par Cateric » jeu. avr. 05, 2018 10:12 am

Chapitre 2 : La Division Blanche


Pendant ce temps alors que la cité de la joie "continuait sa vie" ; en plein désert, loin de là, une bataille venait de se dérouler entre la Division Blanche gracienne, et un régiment de ce que les graciens appelaient la rébellion ; une vision de conquérant. La messe avait été vite dite pour le régiment hélas, et après les sons et les humeurs de la bataille, les aigreurs de la victoire y firent place net en laissant dans leurs sillages les gémissements des blessés et les odeurs du début de leur pourrissement tandis que les légionnaires de la Division Blanche commençaient, comme de coutume, le dépouillement de leurs biens des cadavres et des blessés laissées sur le champ de bataille. Une coutume exercée cette fois avec une grande minutie, car depuis quelque temps, l'attaque des convois de ravitaillement de la division, outre le manque d'arme et de munitions que cela supposait, causait la faim dans la troupe. Plusieurs jours avec des rations minimales et plus aucun village à piller à la ronde dans un désert immense et inhospitalier rendaient les hommes de la division encore plus mordant que d'habitude. La faim les tiraillant, on murmurait qu'ils cherchaient déjà à dévorer les blessés, prisonniers et mort laissés sur leur champ de bataille, même quelques uns de leurs chevaux y passaient malgré les interdictions. Nourrir mille hommes n'était pas une affaire des plus simple, mais si en plus il n'y avait pas de réserve, cela devenait d'autant plus compliqué. La guerre qui se nourrit de la guerre qui plus est, ne pouvait s'appliquer que difficilement dans les régions nord d'Elmore.

La Division Blanche était très bien organisée, et hélas, s'il n'y avait eut leurs exactions commises pour entacher leur réputation, ils seraient sûrement reconnus comme de formidables soldats de l'armée gracienne. La qualité de leur combattant n'avait hélas d'égal que leur cruauté et leur fanatisme racial. Ils considéraient les civils, comme des inférieurs, du bétail à exploiter ou bien destiné à leur divertissement, et dieu sait qu'en cette matière, ils ne manquaient pas d'imagination. Noble souvent de pure souche, et/ou issu de clans prestigieux, avec une manie du "sang pur", ils considéraient les sangs mêlés comme des inférieurs à peine plus valeureux que les civils dépourvus de l'usage du mana. Ne considérant pas réellement les civils comme des êtres de leur hauteur, il leur devenait beaucoup plus facile de les traiter sans la moindre considération, et cela envoyait de fait, à leur capacité de cruauté sans égal envers ceux qu'ils croisaient.

Contrairement à ce que l'on pouvait penser, Gracia n'aimait pas savoir qu'une de ses meilleures divisions soit responsable des atrocités qu'on lui rapportait. Au-delà de la guerre à gagner, il fallait gagner la victoire comme on disait, et laisser cette division agir selon son gré n'était pas bon pour la réputation gracienne. Il y a de ça environ quatre mois, on décidait dans les hautes sphères de remplacer l'officier en charge de la division par un nouveau. Un homme prénommé Shigurui, qui prit les commandes accompagné de deux autres membres de son clan dont il était proche, Serafi, un homme puissant, qui se vit confier les larmes de sang (c'est-à-dire les escouades d'éclaireurs) et Iliana, une belle jeune femme très étrange qui servit dès lors d'intendante à Shigurui. Les trois graciens avaient le visage plus ou moins masqués, les deux hommes, par un casque de métal qu'ils ne quittaient que rarement, tandis que la jeune femme, elle, avait les yeux masqués par un diadème qu'elle ne quittait jamais. Il ne s'agissait pas que de protection ou de coquetterie, mais bien de masquer leurs yeux rouge sang, causé par l'usage de leur pouvoir, à tel point qu'ils étaient eux-mêmes bannis avec une grande partie de leur clan par ceux aux yeux bleus, qui se considéraient d'essence bien plus sage que leurs homologues.

Ce jour de bataille avait été mené par Shigurui et Iliana, Serafi était en effet à la tête des éclaireurs bien plus loin de là, pour tenter d'organiser une chasse qui serait susceptible de nourrir au moins en partie la Division Blanche. Shigurui, quoi que ne possédant que des hommes affamés, était néanmoins aussi puissant guerrier qu'il était excellent tacticien, et sa récente victoire ne fit que conforter ses hommes dans cette idée. Cependant, il eut la fâcheuse tendance à leur interdire leurs petits jeux habituels sur les civils, et cela ruinait l'estime acquise de ses hommes qu'il obtenait par sa valeur guerrière. Gracia l'avait cependant envoyé là justement pour cette raison, ce qui n'empêchait pas la mission d'être difficile, c'était en effet, comme devoir empêcher des tigres d'être carnivores... Invocateur de démons, comme ses deux proches, ce n'était pas un homme qui appréciait la cruauté gratuite, non qu'il était fondamentalement contre celle-ci, mais uniquement si cela s'avérait utile pour un objectif quelconque, effrayer un ennemi pour éviter une coûteuse bataille par exemple. Mais pas stupide, il savait qu'agir toujours en monstre ne voulût plus rien dire au final, et que les adversaires avaient alors tendance à préférer se battre toujours jusqu'à la mort plutôt que de se rendre à un ennemi qui se montrerait de toute façon aussi horrible qu'implacable.

Shigurui me ressemblait beaucoup par bien des façons. Par exemple, c'était un homme qui avait beaucoup d'humour, un humour très noir, mais en même temps capable de l'ignorer complètement comme je l'avais fait quand Kumiko avait tenté de calmer la tension entre Batz et moi par ses remarques infantiles et innocentes. Il avait également un certain rapport avec la mort, et se trouvait convaincu qu'un jour prochain, les démons que les siens invoquaient auraient le droit de passer de l'au-delà au monde des vivants. Bien que ce jour ne soit pas encore arrivé, c'était son but le plus cher et le plus secret, qu'il ne confiait qu'à quelques privilégiés qu'il appréciait. C'était un homme complexe, aussi imperceptible que je l'étais.
Tandis qu'il observait le champ de bataille, il ne paraissait pas trouver plus de plaisir qu'Iliana à le contempler. Ce spectacle horrifiant pour la plupart des gens, il y était accoutumé, mais jamais il ne songea à trouver de la gloire en cela. Quand il regardait ses hommes, fouillant les cadavres qui s'étendaient jusqu'à l'horizon, lui ne songeait qu'à trouver une solution concernant les attaques des convois qu'ils subissaient depuis un moment. Ces attaques étaient très bien orchestrées et ne laissaient aucun témoin vivant pour en faire les récits. C'est d'ailleurs ce qui lui avait fait supposer qu'il s'agissait d'attaques venant de la rébellion. Sachant que les convois n'étaient que mal protégé par l'armée que ce soit dans un camp ou l'autre. Une nouvelle forme de guerre lui apparaissait par ce procédé, moins glorieuse, mais terriblement efficace car par ce procédé son armée ne tarderait pas à s'étioler, voire pire, se mutiner. Un instant, il se fixait sur un des drapeaux de la division. Il y avait certes les symboles graciens qui flottaient souvent au-dessus des hommes, mais le drapeau blanc flottait bien plus souvent. Drapeau Blanc, de la paix, une ruse que la Division avait inventée pour amadouer les adversaires qui pensant qu'ils se rendaient, ne se méfiaient plus et se faisaient massacrer derrière. Plus personne dans la rébellion ne se laissait prendre par cette ruse aujourd'hui, car trop connu, mais la division par cela avait fini de pervertir ce symbole de paix pour en faire son propre étendard, un drapeau blanc... D'où la division Blanche gracienne.

Iliana, qui accompagnait Shigurui et qui remarquait qu'il regardait très attentivement ce drapeau décidait qu'il était alors temps de rompre le silence qu'ils étaient imposés tous les deux jusque-là.
-Ce n'est pas ton symbole mais le leur. Je sais qu'il ne te plaît guère de le voir assujetti à une si basse ignominie. Mais tu n'y peux rien.
-Un drapeau rouge de sang conviendrait mieux à toutes ces bêtes qui sont sous mes ordres.
-Il va peut-être falloir que tu lâches ces bêtes hors de leur cage. La forteresse est loin d'ici, tu as forcé la marche de la Division, et maintenant nous savons que ce n'était pas ce régiment rebelle qui faisait les mains mises sur les convois. Tes hommes risquent de mal le vivre... Les ramener en arrière ne changera rien, tu dois permettre le pillage tu n'as pas le choix.
-Une énigme qui va de plus en plus m'obséder je le sens. C'est une idée simple, et c'est pour ça qu'elle est géniale. C'est à se demander, non, même se sentir honteux, qu'aucun officier de Gracia n'y est pensé avant.
-Nourrir tes hommes est la priorité. Avant qu'ils ne deviennent cannibales j'ose espérer. Nous pouvons toujours invoquer des démons mineurs pour qu'il les mange.
-Mes créatures ne servent pas de bétail aux légionnaires. Je préfère les voir tous crever de faim plutôt que de sacrifier mes bêtes à leur estomac.
-Quelle idée tu as eu de nous faire engager par l'armée aussi.
-Ne soit pas dupe. Gracia, c'est déjà fini, elle va s'écrouler, nous ne sommes là que pour le temps que cela va durer encore. Quand la conquête d'Elmoraden sera terminé, Gracia devra faire face à tout un peuple.
-Nous aurions mieux fait de nous débarrasser de l'autre branche du clan.
-Nous n'en avons pas les moyens et tu le sais.
-Alors ? Qu'est-ce que tu vas faire ?
-Je sais qu'ils vont se jeter sur les blessés pour les manger. Du moins certains d'entre eux. Je regarderais les cartes ce soir, même si je sais qu'il n'y a pas vraiment de villages dans cette région. Les peuplades de la vallée des saints ont déjà du mal à se nourrir elles-mêmes, alors une Division entière...
-Tu pourrais simplement retourner vers les bases de Gracia...
-Et admettre mon échec à la face de tous ces dandins de l'état-major. Les Mamoru sont bien assez humiliés comme ça par leur soi-disant chef. Je m'y refuse, je reste.
-Tu ne digères toujours pas d'avoir été chassé... Je comprends, mais ça t'empêche d'avoir l'esprit clair.
-Au contraire, il est limpide.

Là, un légionnaire s'approchait d'eux, un peu effrayé, il s'agenouillait tout en tendant un petit papier à Shigurui sans oser croiser son regard.
-Un message pour vous des larmes de sang.
-Qu'est-ce qu'il dit ? Demandait immédiatement Iliana.
Le légionnaire qui avait porté ce message n'attendit pas qu'on le lui demande pour partir, il le fit directement alors que Shigurui, qui l'avait simplement ignoré en saisissant le message, paraissait plus qu'intéressé par ce qu'il était en train de lire. On l'aurait vu sourire, s'il n'avait eu un casque pour masquer et protéger son visage.
-Peut-être la réponse à nos soucis. répondit-il à Iliana au ton satisfait.
-Comment ça ?
-Les éclaireurs ont trouvé un camp de réfugiés, à une trentaine de kilomètres au sud d'ici.
-Tu crois vraiment qu'ils auront de quoi nous nourrir. Si tu lâches les hommes sur eux, dans l'état qu'ils sont, ça va être monstrueux, tu ne les tiens pas encore vraiment tu le sais.
-C'est toi qui as dit que je n'avais pas le choix. Je doute qu'ils soient si bien fournis que ça, mais ce sera mieux que rien, et je préfère les voire se déchaîner sur des civils plutôt que de se mutiner contre moi. Un homme qui ne connaît que la peur et la faim ressemble à une bête. C'est normal, je ne leur en veux pas, je les trouve juste primitif. Nous allons nous y rendre à ce camp de réfugiés. Fais préparer l'armée, qu'il se mette en formation et en marche.
-Ils viennent de se battre, et de marcher pendant des heures... Ils ne vont pas aimer ça.
-Promets leur un festin. On trouve tout bon quand on a faim. Ils ne réfléchiront même pas à quel met les attendent.
-S'il n'y a rien là-bas, tu vas te faire lyncher...
-Ils sont comme des chiens affamés, ils aboient, muent par la faim qui les tiraille et l'envie de sang qu'ils ont éprouvée jusqu'à la racine, mais s'ils tombent sur un ours, alors ils reculent. Pour eux, je suis un ours, ils ont vu nos invocations, et quand bien même la folie les pousserait à nous attaquer, un risque possible, je n'aurai pas de scrupules à me montrer encore plus cruel qu'ils le sont avec les civils pour dresser une bonne fois pour toute ceux qui surviraient.
-Et les larmes de sang ?
-Elles s'y rendent déjà, Serafi a été prévenu il est en route. Ils vont encercler le camp, et nous arriverons par le nord. Ce camp n'aura pas la moindre chance, soit il coopère, soit je le livre à la Division. Nous y serons pour le crépuscule. Va maintenant.
-Bien...
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » ven. avr. 06, 2018 5:38 pm

Une certaine vertu habitait les aspirations de Bohémon pour son camp. Il espérait que celui-ci un jour peut-être, disparaisse et ne soit plus appelé "camp de réfugiés". Il aspirait à une cité mouvante et nomade, qui s'organisera d'elle-même, sans avoir à faire avec des instances politiques ou militaires supérieures. Quoi qu'il savait qu'il ne vivrait pas assez longtemps pour voir ce jour venir, il y travaillait d'arrache-pied avec le peu des moyens qu'il parvenait à mobiliser. Bien des domaines pourtant importants à ses yeux faisaient encore défaut dans sa cité de la joie. L'un d'eux était l'éducation. Très peu de ses résidents avaient un niveau d'instruction suffisant pour faire de l'enseignement dans ce camp. Et quand bien même quelques-uns auraient pu s'y essayer, il y avait beaucoup trop d'enfants pour le peu qu'ils étaient. Ceci-dit, on comprend que la majorité des jeunes enfants de la cité de la joie étaient livrés à eux-mêmes une grande partie de la journée.

Jill, qui n'était pas toujours sous la garde de Zö, avait son petit groupe d'ami proche, une bande d'une douzaine de bambins assoiffés d'aventures et de jeux divertissants. Ils savaient s'occuper seuls le plus souvent en gambadant à travers le camp et aux alentours. Ce jour-là, Jill était proche de l'une des sorties du camp, où avec ses amis, elle aperçut Nina et Joachim se disputer puis sortir du camp en courant. La petite fille aux beaux cheveux blonds des blés, de la même couleur que ceux de Nina, mais raide et avec de grands yeux verts pétillants, était la chouchoute de l'un des garçonnets de sa fréquentation. C'est celui-ci, qui en voyant son inquiétude, proposait à toute la troupe de suivre discrètement Nina et son amant pour voir s'il n'allait pas lui faire du mal. Jill connaissait très bien Lucy et ses filles, et quoique son grand-père n'aimait pas toujours la savoir proche de celles-ci, il savait qu'elles étaient toujours tendre et amicales avec elle. C'est la raison qui fit que Jill, en voyant le visage crispé de Nina et que Joachim l'avait traînée de force hors du camp, s'en retrouva inquiète et acceptait la proposition de son camarade.

Ils avaient conservé une certaine distance, pour ne pas se faire voir de Nina et Joachim, et fort heureusement pour eux, les deux amants étaient bien trop pris par eux-mêmes pour se savoir suivit. La douzaine de bambins rasaient les rochers et s'abritaient sous l'ombre de la paroi pour être encore plus discret, Jill et son camarade téméraire en tête, ils n'étaient cependant pas assez près pour pouvoir les entendre. Témoins de la scène que vivaient les amants maudits, ils ne prirent pourtant pas peur, et Jill renvoya la moitié de son groupe vers le camp pour prévenir Lucy et son frère. Elle et les autres, resteraient là pour observer, convaincus que les graciens, "les larmes de sang" ne pouvaient pas les repérer. Il était vrai, certes, que les graciens étaient complètement accaparés par le dôme de sable qui les empêchait de jouir de leur proie du moment. Ceux-ci étaient assis, à fixer le dôme de sable. Ils savaient qu'ils ne tarderaient pas à recevoir un renfort, peut-être Serafi lui-même. Ils ignoraient encore que la moitié des enfants courraient vers le camp pour amener leurs propres renforts si on osait dire.
-J'ai une putain de dalle sérieux... Se plaignait Glaswow.
-C'est ton bide qu'on entend là ? Enchérissait un autre.
-Bah ouais... Rétorquait Glaswow sans gêne.

Leur chef était plus silencieux et plus concentré, malgré les difficultés, il espérait encore trouver un moyen de percer le dôme avant l'arrivée des renforts. Il s'agissait pour lui de prouver son efficacité en vue d'une montée en grade. Hélas, il avait beau y mettre tous ses neurones, aucune idée ne lui venait. À côté de cela, Jill et cinq de ses amis, cachés derrières des rochers observaient fixement la scène. Ils n'étaient pas complètement confiants, mais en même temps bien trop jeunes pour avoir conscience de la gravité de leur propre situation. S'ils se parlaient, c'était à voix très basse, de peur que l'une des larmes de sang les repère. Jill était une petite fille débrouillarde, empreinte de cette innocence qu'on connaît chez les enfants. Son camarade en réalité, lui, était bien plus intéressé par elle, que par les graciens qui assiégeaient Nina et Joachim. Il la regardait plein de convoitise, sans vraiment comprendre la cause de ces désirs ou leurs raisons. Il ne faisait que répondre à une pulsion, sans en comprendre toutes les subtilités. Hélas pour lui, Jill n'avait pas les mêmes pulsions, elle était bien plus innocente et moins pervertie. Une jeune fleur pas encore cueillie d'une certaine façon. La pudeur et l'innocence étaient pour elle ce que sont des compagnes inséparables ; Comme la petite fille qui, pour recevoir son déjeuner, les fruits que lui présente sa mère, trousse ingénument sa chemise, a bien plus de pudeur que la fille de quinze ans qui rougit, parce que sa jarretière s'est détachée. Jill était cette petite fille, mais dans l'oeil de son camarade, elle serait plutot le fruit...

-J'espère qu'ils vont faire vite... Murmurait un instant Jill.
-Le temps de les trouver, qu'ils se préparent et qu'ils viennent, il sera peut-être déjà trop tard. Lui répondait aussi bassement son camarade.
-Tu vas pas faire de bêtise hein Théo ? S'inquiétait-elle soudainement en voyant la malice dans le regard de son ami.
-J'ai un plan t'en fait pas.
-Mais non ! Tu bouges pas de là !

Mais Théo avait déjà pris sa décision, il voulait être le héros de la belle, et c'était encore mieux si ce fut sous ses yeux. Rien de plus lointain qu'une femme qui s'installe dans un nouvel amour. Une extraterrestre, un doux monstre distrait dont le visage, proche et déjà méconnaissable, provoque une attirance exacerbée, torturante et vaine, car Théo ignorait que l'amitié était le seul pas de franchise que ne lui accorderait jamais sa belle. Un amour sincère dépourvut de cette attirance aliénante, qui conduit aux jeux d'adultes et obsède au premier souffle de l'adolescence.
Théo n'écouta pas son amie, et bondit hors de sa cachette pour attirer l'attention des graciens, il espérait qu'ils le poursuivent, pour permettre à Nina et Joachim de retourner au camp. Il se croyait assez rapide pour leur échapper, et assez courageux pour oser le faire. Il se croyait assez chanceux pour réussir, et assez fougueux pour conquérir le cœur de Jill avec ceci. Malheureusement, en sortant de sa cachette, il se fit bien repérer par les graciens, qui ne prirent pas la peine de lui courir après. Le chef de la petite escouade levait la main et l'abaissait aussitôt vers lui. L'une des larmes de sang décocha une flèche, qui se plantait dans le crâne du jeune garçon. Théo s'effondra sans même un cri, ni sans avoir pu sentir la douleur.
-C'est quoi ce babouin ? S'étonnait le chef de l'escouade sur le moment.

Quand la flèche touchait Théo, le petit groupe de Jill se prit de panique, et malheureusement, comme tous les soldats le savent bien, c'est un sentiment contagieux... L'un d'eux bondit aussi de sa cachette, effrayé, il tenta de s'enfuir vers le camp.
-Mais qu'est-ce que ! Putain Nalaad ! S'écriait le chef. Et Nalaad, qui venait déjà d'abattre d'une flèche un jeune garçon, en abattait un autre de la même façon, d'une flèche dans la tête.
Les enfants se mirent à hurler, à courir dans tous les sens, à l'exception de Jill, qui loin d'être impassible, était en fait complètement tétanisée. Des sortilèges fusèrent aux côtés des flèches, faisant de l'allée un véritable bain de sang. Le soir commençant à tomber et emportés dans l'élan, les graciens n'avaient pas réellement remarqué qu'il s'agissait d'enfants et d'adolescents. Jill se recroquevilla sur elle-même, en priant de tout son coeur que les larmes de sang ne pensent pas à vérifier maintenant s'il y en avait d'autres. Dans le dôme, le son des sortilèges interpellaient Joachim et Nina, qui croyaient à une intervention du camp, loin de se douter du drame qui se déroulait autour d'eux.
-C'est Bohémon tu crois ?! S'excitait de joie Nina.
-Je sais pas le sable étouffe le son, j'ai du mal à entendre. Répondait prudemment Joachim qui collait son oreille au mur de sable.

Joachim ne pouvait se permettre de faire tomber son dôme, car rien n'était sûr pour le moment et il envisageait une fourberie de ses anciens camarades de combat. Et de toute façon, s'il l'avait fait, qu'aurait-il pu changer ? Le chef de l'escouade des larmes de sang ordonnait ensuite à Glaswow de vérifier s'il n'y avait pas quelqu'un d'autres. C'est alors qu'en s'approchant, le Gracien comprit qu'il ne s'agissait pas d'ennemi, mais d'enfants et d'adolescents.
-Bordel ! Mais c'est pas des soldats. C'est des momes ! S'étonnait-il.
-Ils venaient sûrement du camp. Rétorquait le chef.
-Si ça se trouve ils allaient partir les prévenir, intervenait Naalad.

Un seul homme de la troupe, resta silencieux, quelque peu troublé d'avoir été le témoin impuissant du meurtre de jeunes enfants. Mais il n'allait pas relever cela devant les autres, de crainte qu'il ne fut regardé de travers par des camarades beaucoup moins humains que lui. Le chef en particulier n'en éprouva pas la moindre gêne, ces enfants n'étaient pas ses premiers. Jill à ce moment, toujours pétrifiée, entendait les pas d'un homme qui s'approchait d'elle. Derrière son rocher, elle se plaquait les mains sur les oreilles, et fermait les yeux, comme une autruche se croyant en sécurité la tête dans le sable. Puis, elle sentit que la chaleur du soleil se dérobait, une silhouette la lui bloquait.
-Y en a une autre ! S'écriait Glaswow. Une gamine !
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » sam. avr. 07, 2018 1:09 pm

Peu de temps avant que Jill et son groupe d'amis décident de suivre Nina et Joachim, dans le camp, Fugand appréciait toute la saveur du défi que je lui avais opposé. Je cherchais à en apprendre plus sur lui, ce soldat adenien. Un homme très grand et fin, plus que moi encore, proche des deux mètres, arborant un visage fermé sur des traits aux lignes carrées qui enfermaient ses yeux en amande. Sa longue chevelure attachée en queue-de-cheval qu'il avait la discrète manie de refaire souvent en tirant sur le nœud, était soyeuse et d'une couleur corbeau. Il me paraissait d'un tempérament moins exubérant que l'elfe noir qui l'accompagnait, qui elle, avec sa teinte rousse et son décolleté donnant à sa protubérante poitrine toute la hauteur d'une arme de persuasion, était plus encline aux grands élans.

Fugand était resté strictement silencieux face à la démonstration et au défi que je lui lançais. Il était intéressé par le résultat, car je vis l'esquisse d'un sourire au coin de ses lèvres se dessiner un bref moment, et quand le résultat fut en sa faveur, alors seulement, il se permettait de répondre. Il avait bien sûr attendu que Bohémon termine, sans doute par respect pour le maître des lieux et alors que je m'éloignais à nouveau vers Lucy, j'entendis dans les vibrations de son timbre ce que j'espérais trouver ; un calme prononcé, un calme qui me transperçait comme une préface à l'indifférence.
-La prochaine fois, s'il y en a une, mais quand même un peu d'adenas en jeu.
-Haaa les hommes, clamait alors Kumiko. Moi je préfère jouer ma vie tous les jours pour une cause qui me tient à cœur plutôt que pour rien ou des futilités. Il y a trop de manières de mourir dans ce monde pour jouer à ce point avec la seule chose que l'on ne contrôle guère.

J'étais alors proche de Lucy, que je voyais me regarder tristement, me faisant éprouver par la sorte une certaine gêne, car je savais que ma démonstration ne lui avait pas inspiré de la sympathie, et vu l'oeillade qu'elle me portait, je ne vis en réalité que de la pitié. Nous nous regardions elle et moi à ce moment, et sans que je ne susse pourquoi, je n'arrivais qu'à être désolé. Comme si, alors que la pitié m'exaspérait, m'en sachant la cause, j'éprouvais de la peine de lui avoir donné une mauvaise image de moi. C'est alors que j'entendis Kumiko parler. Un bref regard tourné vers elle fut la seule réponse que je lui octroyais. Son point de vue ne m'indifférait pas, je l'avais entendu seulement trop souvent pour voir que la finalité demeurait à jamais la même. Sa cause... Son idéal... Outre que je fus convaincu que les graciens allaient gagner cette guerre et que ses espoirs me paraissaient donc inutiles, les idéaux m'épuisaient, et elle ne semblait vraiment pas le comprendre. Les hautes natures, alors qu'elles paraissaient briguer nos applaudissements, ne songeaient qu'à nous offrir un idéal. Elles ne demandent rien, elles donnent, comme ce que Kumiko semblait arguer à chaque fois qu'elle parlait de ses aspirations. Mais ce n'était qu'une réalité qui lui était propre, intérieure et intériorisée. Tout idéal qui ne répond pas à une forte réalité intérieure n'est qu'un mensonge, aussi je savais qu'elle en était sincèrement convaincue, mais néanmoins très éloignée des réalités.

Je baissais les yeux vers le sol à cet instant, suivant de mon visage tout entier. Bohémon et Batz se dirigeant vers les deux mercenaires pour les conduire enfin à leur tente, car ils finirent par accepter la proposition du Roi Lépreux. Lucy, me frôla le gantelet du bout de son petit doigt, me faisant relever le regard vers elle avec étonnement. C'est alors que plusieurs enfants vinrent vers nous en courant. Ils criaient "Bohémon ! Bohémon !" tout en courant. Ils étaient épuisés, et avaient l'air complètement paniqué. Nous tous, les accueillons avec étonnement, Bohémon en tête qui se dirigea vers eux calmement, tout aussi calmement qu'il leur répondait.
-Un seul à la fois, que se passe-t-il ?
-Des graciens ! Ils ont attaqué Nina et un autre garçon !

Tous, nous fûmes saisis de torpeur par la nouvelle. Mais il n'y eut pas de moment de silence. Bohémon restait calme, digne d'un chef, alors que Batz, très nerveux, me semblait déjà prêt à partir. Je restais attentif, pour en apprendre un peu plus avant de décider ce que je ferais, mais je vis dans les yeux de Lucy une immense inquiétude qui me prit étrangement au coeur. Les deux autres mercenaires, sur le moment, je ne m'en occupais pas vraiment.
-Où ça ? Demandait Bohémon toujours paisiblement à l'enfant.
-Vers la sortie qui mène à la vallée des saints !
-Ils sont nombreux ? Demanda alors Fugand.
-Ils sont quatre ! Ou peut-être cinq. Mais Jill et des amis sont là-bas pour surveiller !

Lucy portait la main à la bouche inconsciemment et sans doute sous l'emprise de la frayeur. Un petit "ho" s'était échappé de ses lèvres avant qu'elle ne se reprenne et clame fortement.
-Zö ne doit pas le savoir pour l'instant ! Il serait complètement paniqué !
-Batz va y aller avec quelques hommes. Lui répondit Bohémon gravement.
-Inutile de mobiliser vos hommes. Je vais avec lui. Ajoutais-je bassement.
-Nous pouvons venir aussi ! S'emportait Kumiko.
Fugand la regardait un moment avant de lui faire un non en secouant la tête. Je savais que ce n'était pas par lâcheté avant même qu'il explique son refus. Il était plus un officier qu'un soldat, et cela se ressentait d'autant plus dans ce genre de situation.
-Le camp doit conserver quelques bons soldats pour mener les hommes en cas de problème. Batz et le Blanc ont l'air d'être de bons guerriers, pour cinq hommes, cela pourrait suffire.
-Mais on ne sait même pas qui il y a là-bas ! Continuait de s'emporter Kumiko.
-Raison de plus pour rester prudent et ne pas sacrifier tout le monde.
-Pendant que vous causez on perd du temps. Intervenait Batz d'une voix rauque et brutale. Je pars maintenant, vous vous faites ce que voulez.

Il commençait alors à courir, en ignorant chacun de nous, et qu'il courrait vite ! Une telle masse douée d'une telle détente avait de quoi surprendre. J'allais me mettre en route aussi, tant pis pour le cheval, j'irais moi aussi à pied et en courant, mais avant de m'élancer, ma main fut enserrée dans celle de Lucy, qui me fit une supplication dans le regard. Une supplication à laquelle je répondais par un sourire confiant et rassurant. Ce n'était pas pour ma propre sécurité, qu'elle suppliait, c'était pour celle de Nina et de Jill, du moins, c'est ainsi que je le concevais. Nous disparaissions donc rapidement tous les deux, Batz et moi, sous les regards graves de Bohémon, Lucy et des deux autres mercenaires. Nous avions agi dans la précipitation, une chose qui ne me ressemblait pourtant vraiment pas. Bohémon, ne nous voyant déjà plus, ne perdit pas ses réflexes et retournait ses mots vers les mercenaires.
-S'il y a des graciens là-bas, il y en a peut-être d'autres proches d'ici. Il nous faut préparer notre défense, voire notre fuite.
-Je suis d'accord. Lui répondait Fugand, on va vous aider.

Je rattrapais Batz, qui ne manquait pas de souffle, et alors que j'arrivais à sa hauteur, courant aussi vite malgré le poids de l'armure, tous les deux nous n'avions pour objectif que d'atteindre le plus vite possible le bout de cette route que l'enfant nous avait indiquée. Sans capuche, et prenais le temps en courant de le regarder plus attentivement, outre sa masse musculaire importante, je remarquais que sa teinte de peau était verdâtre. Alors seulement, je commençais à comprendre d'où pouvait lui provenir sa force. Je ne lui en fis pas part, car comme lui, j'avais d'autres choses en tête, à commencer par me "mentaliser" pour l'affrontement que se profilait sans aucun doute. Nous avancions à l'aveugle, mais lui, à la différence de moi, ne semblait marcher qu'à l'instinct. Je ressemblais en courant à un faucon fusant sur sa proie, alors que lui était plus un chien enragé qui galopait vers la soif de sang....

Nous n'étions partis ni ne courrions assez vite hélas pour éviter un traumatisme à Jill. Toujours recroquevillée sur elle-même, les oreilles bouchées par les mains et les yeux fermés, elle n'avait même pas entendu le gracien hurler qu'il l'avait découverte. Ses pensées tumultueuses assourdissaient sa logique et sa réflexion, et sa tétanie lui empêchait tout autre moyen de défense. Le gracien la saisit au col, et la souleva sans difficulté pour la passer par-dessus son rocher et la jeter en avant, pas beaucoup plus loin. Elle tomba dans la poussière et déjà les yeux larmoyants accompagnaient des lèvres tremblantes. Se redressant, assise sur les genoux, elle croisait les bras pour s'embrasser elle-même, formant instinctivement un bouclier qui ne la protégeait finalement de rien. Naalad et Glaswow la regardèrent un court moment sans ne dire mot. Les deux se sourirent alors, l'un d'eux en particulier, se mordant les lèvres sans s'en rendre compte. Il tourna le regard vers le chef de l'escouade, celui qui avait la voix rauque. La pauvre enfant n'avait en effet même pas un visage auquel se raccrocher. Il n'y avait autour d'elle, que des masques blancs, décorés d'une larme de sang. Le chef répondait à la question posée par le regard de Naalad.
-Elle n'a pas plus de quatorze ans. Même pour toi c'est encore jeune.
-On peut y aller par ordre de grade. La hiérarchie avant tout.
-Ça ne m'intéresse pas. Mais vous allez y si vous voulez, ça vous occupera le temps que les renforts arrivent.

Jill ne comprenait pas ce qui était sous-entendu là. Son esprit n'avait pas encore toute la lubricité qui corrompt les âmes si tôt. Mais quand Glaswow s'approcha d'elle tranquillement, elle sentit dans son aura, qu'il était mal intentionné. Il chercha une fois assez proche à la happer mais elle se débattit et chercha à s'enfuir. Agrippé au haut de sa tunique, il la déchira pour qu'elle s'en retrouva le haut nu, dévoilant les jeunes attraits d'une féminité par encore totalement formée. Elle hurla, mais il n'en eut cure, il courra un peu pour la saisir au bras et la plaquer au sol. Se débattant en criant, il en fut agacé, et lui décollait deux coups de poing.
-Plus tu vas résister plus tu vas déguster !

Elle tourna le visage, pour ne pas le regarder, et serrait ses lèvres et ses dents, pour contenir ses gémissements de peur. Lui, glissait la main sous sa robe, tandis qu'elle invoquait toutes les forces supérieures qu'elle connaissait pour être sauvée.
-Va y mollo quand même, me refile pas un cadavre. Demanda gentiment Naalad.
-T'en fais pas. Lui répondit Glaswow.

Un cliquetis métallique interpella cependant Glaswow, qui embrassait avant cela la poitrine de la petite fille, et relevant la tête, il n'eut pas le temps de discerner ce qui fut la cause de ce bruit. Ma faux le décapitait. Hypnotisé par l'attrait sexuel, il en avait oublié d'être sur ses gardes, la plus grande et première faiblesse des mâles, fut sa propre perte.
Modifié en dernier par Cateric le mar. avr. 10, 2018 9:54 am, modifié 1 fois.
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » dim. avr. 08, 2018 12:49 pm

Tous les hommes ne sont pas des monstres. L'humanité, non pas un don, une nature, ou un poids, est surtout une dignité à conquérir. Parmi les graciens présents, il y'en eut un qui avait ses propres limites. Il était un soldat discipliné et n'hésitait certainement pas à se montrer cruel avec ses ennemis, mais lorsque les enfants furent abattus, ou encore lorsque le viol de Jill commençait, il se sentait terriblement sale. Il ne protestait pas, car il savait comment cela se passait. Malgré tout, il n'oubliait pas ses propres enfants, qu'il avait laissés avec son épouse depuis bien longtemps pour partir en campagne. Les graciens n'étaient pas avides d'une conquête parce que le passé avec Elmoraden faisait de tout ce monde des ennemis ancestraux, c'était aussi une question de survie, les terres graciennes devenant insoutenable, les graciens devaient s'imposer ailleurs. C'était donc aussi pour offrir une vie meilleure à sa famille, que cet homme-là se battait contre les adeniens et Elmore.

Alors quand il nous vit nous approcher en courant Batz et moi, il ne dit rien. Il ne dit rien parce qu'une force plus haute que sa volonté, voulait que nous empêchions Glaswow d'aller au bout de son fantasme. Son chef et les autres hommes avaient le regard ailleurs et heureusement pour nous. Certainement qu'ils voulaient laisser un peu d'intimité à leur compagnon. Cet homme qui nous laissa nous approcher jusque-là sans intervenir, se savait alors en danger lui aussi, car nous ne ferions pas la différence entre lui et les autres. Quand bien même, il ressentit une satisfaction, de savoir la fleur de la petite fille intacte. Il savait, quelque soient ses propres travers, que l'innocence était une couleur si blanche qu'il fallait un grand soin pour ne pas la tâcher.

Je n'avais pas hésité un seul instant quand je vis ce que faisait ce gracien à Jill. Je n'avais pas vraiment réfléchi. Sa tête m'indifférait, son acte pour beaucoup moins. Jill ne comprit pas sur le moment ce qu'il passait, elle n'entendit que le son net de la chaire tranchée alors qu'elle regardait le sable sur le côté. Tournant le regard, elle remarquait ce corps sans tête assis sur elle, qui tombait un bref instant. Son regard se remplît de vide, et tournant encore la tête de l'autre côté, elle vit la tête de Glaswow, dont le faciès de l'étonnement était figé sur ses traits par la mort prompte que je lui avais offerte. Je venais retirer le corps allongé sur elle. Elle était inerte, un œil gonflé et un filet de sang à la commissure des lèvres à cause des coups que le légionnaire lui avait donnés.
Les larmes de sang réagirent promptement. La faux dans une main, j'utilisais l'autre pour dégager l'enfant tandis que le chef de l'escouade et Naalad nous tirèrent dessus, l'un d'une flèche, qui me fit tituber une seconde en rebondissant sur mon armure, et l'autre en envoyant plusieurs pics de roches qu'il fit jaillir de ses mains. Batz fit tonner comme une cloche sa lourde et large épée en la plantant dans le sol devant nous, s'en servant ainsi de bouclier contre les pics qui n'entamèrent aucunement son acier.
-C'est quoi ça encore ?! S'énervait Naalad qui se sentit coléreux en voyant l'état de son ami Glaswow.
-En formation ! Ordonnait puissamment le chef de l'escouade. Formez un cercle autour d'eux ! Préparez-vous aller !

Tenant Jill par la ceinture de sa robe, celle-ci se montrait parfaitement docile. Elle ne pensait à rien et en rien, à tel point qu'un court instant je doutais qu'elle eut préservé encore tous ses esprits, tant je voyais le néant habiter le creux de ses pupilles. À l'abris derrière Batz, je la déposais un peu en arrière, vers le rocher où elle s'était cachée. Une fois déposée délicatement, je revis la vie pétiller à petites lueurs dans ses yeux. Nos yeux se croisèrent, et je tentais un sourire réconfortant tout en m'adressant à elle.
-Reste derrière ce rocher, on va s'occuper du reste, tout va bien maintenant. Si tu vois que nous avons des problèmes, sauve-toi vers le camp.
Elle ouvra à peine la bouche, mais aucun son ne sortit de ses lèvres. Je glissais alors le pouce sur la commissure pour l'essuyer sans perdre le sourire, puis je passais ma cape sur ses épaules pour recouvrir sa nudité. Je ne le savais pas, mais alors, elle me contemplait, avec une certaine admiration que je lui avais dérobée par l'instant qui m'y favorisa. La niaiserie d'une petite fille qui idéalisa l'image du preux chevalier qui vint à son secours. Hélas pour elle, je n'étais ni preux, ni chevalier, le niais qui court après l'admiration est comme l'idiot qui court après l'esprit : tous deux n'embrassent que des nuages. Sous cette armure blanche, au casque imitant le crâne du phœnix, se cachait un triste personnage très éloigné de l'idéal qu'elle se construisait. J'éprouvais malgré tout, et cela si j'y avais réfléchi je m'en serais immédiatement rendu compte, une profonde empathie pour sa douleur, que j'aurais souhaité partager, voir la porter à sa place, si j'avais pu, mais je ne le pouvais pas.

Les graciens ne nous avaient pas tout à fait encerclés. Ils formaient plutôt une tenaille autour de nous, sachant peut-être que nous ne les aurions certainement pas laissé prendre nos arrières. Batz et moi qui m'en retournais à lui d'un pas lent et gracieux remarquions depuis un moment ce dôme de sable. Mais aussi les cadavres des enfants parsemant le lieu. Batz, qui avait retiré sa puissante épée du sol pour la poser sur l'épaule conservait le visage grave et animal. La tension sur la mâchoire et le regard qu'il renvoyait aux graciens était sans équivoque sur ses intentions, et la vue des cadavres n'allait pas le faire changer de tempérament. La faux sur l'épaule, je me portais à côté de lui et me présentais aux graciens avec une hauteur et une confiance que je savais mimer sans problème. La main gauche au sabre de ma ceinture, je nous voyais déjà devoir nous battre à deux contre trois. Ce n'était pas si inégal pour le coup, mais rien ne disait que nos adversaires ne nous étaient pas supérieurs. Ne voyant pas Nina ni le garçon censé l'accompagner, je décidais de m'adresser directement à eux, ce que je fis d'un ton aimable, calme et mélodieux.
-Nous devions trouver une femme et un homme ici. Sauriez-vous où ils peuvent être ?

Batz était étonné, dans le mauvais sens du terme, de me voir prendre des gants avec eux. Mais il attendait qu'ils répondent, il attendait d'un air menaçant, soupçonnant déjà comme moi la possibilité qu'ils furent cachés dans le cocon de sable qu'il n'y avait pas si loin de nous.
-Ils sont là-dedans. Nous répondit paisiblement le chef de l'escouade en pointant le cocon du doigt. Et vous vous êtes qui ?
Naalad, qui bandait son arc en direction Batz, ne pouvait s'empêcher de regarder cette énorme épée, bien trop longue et large pour être qualifiée d'épée en fait. Et alors que la tension montait, il se permettait une remarque.
-C'est une épée ça ?
Batz, qui ne démordait pas de l'envie de trancher tout sur son passage, sourit pourtant en montrant les dents, comme le ferait un chien. Il tenait plus à cet instant, du démon que de l'homme. Et alors à moi-même, la brève pensée que son demi-sang d'orc faisait des échos me traversait l'esprit et son sourire retomba dès qu'il répondit.
-Elle me sert aussi de plaque de cuisson de temps à autre.

L'officier gracien, celui avec la voix rauque cherchait alors à gagner du temps. L'observant fixement, je voyais que quelque chose clochait, ce n'était pas sa supériorité numérique, ou sa position qui le rendait si confiant, il y avait autre chose, mon instinct me criait de me méfier, mais j'ignorais encore de quoi il pouvait s'agir. Ils n'attaquaient pas, et nous non plus, c'est ce qui arrivait plus souvent qu'on pouvait le penser, que deux forces s'opposaient au début. Elles se jaugeaient, se chargeaient, se portaient en réflexion et supputations sur le déroulement du combat à venir.
-Vous êtes des saloparts. Rompait finalement le silence Batz d'une voix grave et tremblante de fureur. Vous butez des gosses et violez des fillettes. Vous n'êtes pas des soldats, vous êtes des animaux ; et je suis en chasse.
Je figurais impassible durant ce laps de temps. Appréciant le retour que renverraient les graciens à la rancune que leur exprimait Batz. Si le chef et un autre gracien ne répondirent rien, Naalad se mit à rire, légèrement mais assurément et sincèrement, tout en répondant, non sans une certaine arrogance.
-Les vrais guerriers savent qu'à la guerre il n'y a que des coupables. Enfants, soldats, civils, noble ou gueux, quelle différence ? À la guerre ceux qui échouent meurent, c'est la seule vérité du champ de bataille.
-Je te tuerais en premier alors. Répondait Batz en s'efforçant de se contenir.

Pendant que nous nous trouvions dans l'impasse, sans ne savoir que faire pour sauver à la fois Jill et Nina et le garçon qui l'accompagnait. Bohémon avait réuni dans son baraquement ce qu'il avait d'officiers compétents. C'est-à-dire lui-même, Fugand et Kumiko. Lucy était également présente, et bien qu'elle n'ait pas de prédispositions pour les arts militaires, elle connaissait le camp et ses résidents mieux que Bohémon. Bohémon avait sur son bureau une carte des environ, la vallée des saints, et une carte du camp. Il ordonnait depuis déjà bien longtemps que celui-ci, après chaque déplacement, soit monté selon les dispositions qu'il avait ordonné, et ce à fin de facilter une fuite ou une défense en cas d'urgence.
Bohémon était assis à son bureau, alors que les trois autres étaient debout, jusqu'à ce que finalement Fugand vînt s'asseoir à côté de lui. Il n'y avait pas encore de véritables urgences pour eux, car qu'il y est quelques graciens non loin de là ne voulait pas nécessairement dire que toute une division s'approchait. Bohémon savait cependant que la division Blanche n'était pas loin d'ici, et qu'il y avait de grandes probabilités pour que les graciens déjà présents soient de cette division. Le débat n'était pas houleux, mais chacun n'était pas d'accord sur les dispositions à prendre. Kumiko désirait que l'on entame l'établissement de solides défenses pour être en mesure de soutenir un siège. Elle considérait qu'une fuite vers les montagnes de la désertique vallée des saints enverrait la cité de la joie dans un coupe-gorge. Les petites routes et les passages escarpés qui jalonnaient la région étaient il était vrai idéales pour des embuscades. L'autre solution était de fuir par le sud, vers les marais infestés de stakatos, ces insectes immenses qui risqueraient de faire encore plus de victimes que la division blanche. Et comme le soulignait Fugand, pourtant partisan de la fuite stratégique, il n'y avait aucune chance pour que le monastère du silence à l'est offre son soutien. L'ouest enfin, était tenu par les familles vampires, adeptes de l'esclavage et qui pourraient se servir des réfugiés comme du bétail.

Fugand, à l'inverse de sa maîtresse et amie, souhaitait plutôt une fuite dans les montagnes de la vallée des saints justement. Il arguait qu'à défaut d'être une zone idéale pour la défense, les réfugiés pourraient dans le pire des cas se disperser à travers celles-ci et qu'il y aurait l'assurance d'avoir des survivants parmi eux. Bohémon se sentait divisé, mais s'efforçait de ne pas paraître tourmenté par le doute. Derrière son masque miroir, son visage dévoré par la lèpre laissait tout de même entrevoir au creux de ses yeux l'inquiétude qu'il éprouvait pour tous ceux qu'il considérait comme ses enfants ; les réfugiés du camp. Organiser une défense, c'était séduisant, s'il pouvait faire assez mal à la division blanche, peut-être qu'elle abandonnerait tout espoir de pillage et de conquête du camp. Mais avec quels moyens ? Ses forces n'étaient absolument pas prêtes à affronter une armée professionnelle, équipée et entraînée. Lucy, avait l'esprit ailleurs alors que les trois autres tergiversaient. Elle n'avait en tête que Lucy et Jill, leur santé, et s'imaginait le pire de ce qu'il aurait pu leur arriver en priant que Batz et moi parvenions, sans encombre à les ramener. Il arrive un moment où ceux qui vivent ensemble depuis de longues années cherchent des motifs de querelle et d'inquiétude dans les plus petites choses pour mettre de l'intimité et de l'intérêt dans ce qui est mort définitivement, or, ici l'inquiétude était justement la mort définitive de ce qu'elle considérait intime et important depuis de toutes aussi longues années.

Pendant que Lucy cherchait à se concentrer sur la conversation sans y parvenir, il était maintenant question des fortifications possibles à mettre en place autour de la cité. Kumiko y croyait fermement, arguant qu'avec les charrettes, les chevaux, les tentes, et des sacs de sable bien disposés, il était possible d'imposer une résistance acharnée aux graciens, mais Bohémon et Fugand semblaient beaucoup moins convaincus par cela. Là, on toquait à la porte, et le garde en station devant celle-ci fut invité à entrer par Bohémon.
-Excusez-moi Sire. Bafouillait le garde. C'est Zö, il est dehors et il voudrait parler à Lucy. Je lui ai dit qu'elle était très occupée, mais apparemment il s'inquiète à propos de sa petite fille, il ne la trouve pas.
Modifié en dernier par Cateric le dim. avr. 08, 2018 3:48 pm, modifié 2 fois.
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » dim. avr. 08, 2018 3:26 pm



"Elle ouvra à peine la bouche, mais aucun son ne sortit de ses lèvres. Je glissais alors le pouce sur la commissure pour l'essuyer sans perdre le sourire, puis je passais ma cape sur ses épaules pour recouvrir sa nudité. Je ne le savais pas, mais alors, elle me contemplait, avec une certaine admiration que je lui avais dérobée par l'instant qui m'y favorisa. La niaiserie d'une petite fille qui idéalisa l'image du preux chevalier qui vint à son secours. Hélas pour elle, je n'étais ni preux, ni chevalier, le niais qui court après l'admiration est comme l'idiot qui court après l'esprit : tous deux n'embrassent que des nuages. Sous cette armure blanche, au casque imitant le crâne du phœnix, se cachait un triste personnage très éloigné de l'idéal qu'elle se construisait. J'éprouvais malgré tout, et cela si j'y avais réfléchi je m'en serais immédiatement rendu compte, une profonde empathie pour sa douleur, que j'aurais souhaité partager, voir la porter à sa place, si j'avais pu, mais je ne le pouvais pas."
Fracture - Chapitre 2


Petite pause de quelques jours sur l'écriture. La suite prochainement, merci à ceux qui m'encouragent à continuer... Vos encouragements, vos remarques, et vos critiques, sont la meilleure des motivations.
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Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » jeu. avr. 12, 2018 10:46 am

Zö attendait qu'on le reçoive. Il était effectivement très inquiet ; inquiet de ne pas savoir où se trouvait sa petite fille et bien loin d'imaginer le drame qui ne tarderait pas à entamer la poésie de la cité de la joie. L'inquiétude d'un grand-père, qui avait sur les épaules la charge du père et de la mère, était difficile à entendre, si ce n'était pour ceux qui en connaissaient le poids. L'anxiété de l'inquiétude est plus poignante encore que l'angoisse de la douleur. Quand le malheur est accompli, l'irréparable nous courbe sous la soumission. L'inquiétude en revanche est la crainte tempérée par l'espérance, l'espérance illusoire que sa petite fille était intacte dans le cas présent. Zö ne bougerait pas du pas de la porte, tant qu'il ne serait pas reçu, et chacun de ceux présents dans la pièce, Bohémon et Lucy en tête, en avait conscience. Quel ton fallait-il employer pour lui dire la triste vérité ? Que seule la vérité était coupable peut-être.

Les graciens avaient une chanson bien à eux. Ils la chantaient quand ils marchaient, ils la chantaient depuis qu'ils furent dans l'obligation de quitter leur sol, leurs terres, le continent... Les graciens n'étaient en effet pas seulement des envahisseurs, ils étaient aussi des expatriés. Personne ne sait vraiment qui est l'auteur de la chanson, même pas depuis quand elle existe, mais tous les graciens la connaissaient, d'autant plus depuis qu'ils étaient en guerre pour la conquête d'un nouveau territoire où s'implanter. Dans le noir complet, Joachim l'avait chanté, un peu avant notre intervention à Batz et moi. N'entendant plus aucun bruit, à cause de ce que le sable empêchait le moindre son trop bas d'entrer, il s'assit et chanta. Nina, se rapprocha de lui, pour se réchauffer, et silencieusement, craignant aussi en même temps d'être rejetée, se pressa contre lui. Il ne la repoussa pas, et l'entoura de son bras pour la serrer dans celui-ci contre sa poitrine. Sa voix, avait pour elle quelque chose d'apaisant, il lui faisait oublier sa situation. Elle entendit dans cette chanson un écho à sa propre condition. À la condition de tous les résidents de la cité de la joie ; L'idéal d'un autre royaume, d'une autre terre, sans guerre et sans malheur, un sol sans tache, l'idéal qui n'est qu'un songe, mais un songe qui l'emporte sur toutes les pauvretés du réel. Elle ressentait le même idéal en Joachim, et se dit alors, que les graciens n'étaient pas d'une certaine façon, si différents des elmoradiens.
-Ces temps-là,
Des forêts et des prés,
Non loin des longs, rivages oubliés,
De l'aube voilée,
s'en est allée,
En quête de l'Homme,
Lumière enchantée,
Les cîmes fremissaient,
Larme d'Ether,
Les pousses s'élevaient,
En brisant l'hiver,
Donne le feu,
Aime nos alleux,
Flamboie nos armes,
Vaincu la misère...

-Tu crois qu'on va nous sauver . Demandait peu convaincu Nina quand il terminait de chanter.
Mais Joachim ne lui répondit pas. Il préférait se lever pour aller de l'autre côté du dôme.
-Qu'est-ce que tu fais ?
-Ça fait un moment qu'on n'entend plus rien, je veux laisser passer un petit trou pour voir de l'autre côté. Et puis si ça pouvait m'aider à entendre ce qu'ils se racontent aussi...
-Pourquoi tu n'as pas fait ça dès le début ?
-Parce que je l'ai encore jamais fait. Je ne veux pas faire tomber tout le dôme parce que je contrôlerais mal mon mana.
-Je n'avais jamais vu de graciens utiliser de la magie.
-Nous ne sommes pas vraiment différents des humains d'Elmoraden...

Désorienté d'abord, Joachim ne vit que la paroi d'une roche, la montagne qui bordait le chemin vraisemblablement. Mais parvenant plutôt facilement à faire ce petit trou de serrure par lequel il pouvait observer, et ce sans que son dôme s'effondre, il décida de recommencer à un autre endroit de celui-ci, et là il tombait sur nous, Batz et moi, en train de discuter avec les graciens. Il reconnaissait Batz immédiatement.
-C'est Batz ! S'écriait-il. On est venu nous chercher ! Y'a un autre type en armure à côté de lui.
-Laisse-moi voir ! Criait Nina à son tour en courant vers Joachim pour regarder dans le trou. C'est Le Blanc !
-Qui ça ?
-Un mercenaire qui venait d'arriver dans le camp. Ils ont l'air de discuter avec quelqu'un.
-Les larmes de sang sans doute.
-Qu'est-ce qu'on fait ? Tu vas pas les aider ?
Joachim avait manifestement mieux regardé que Nina. Il avait vu le cadavre de l'un des enfants non loin de nous. Nina était tourné vers lui, pressante il fallait dire, et quoiqu'il hésita à lui dire ce qu'il avait vu et pas elle, il préférait finalement se taire à ce propos pour lui répondre.
-Reste derrière moi quand le dôme tombera, et dès que la voie est libre, tu cours te mettre à l'arrière de nous d'accord ?
-Je ne suis pas une guerrière... Je ne peux que fuir tu le sais.
Joachim se prit à sourire, alors que Nina ne pouvait le voir, curieusement, elle "entendit" ce sourire et y répondit instinctivement avant de reprendre.
-Tu fais attention à toi. D'accord ?
-Mmh... Je ne suis pas suicidaire. Et on a encore beaucoup de choses à nous dire.
-Comment ça ? Demanda-t-elle sachant pourtant la réponse.
Joachim s'approchait d'elle, et durant un très bref instant, lui volait un baiser. Elle se laissait faire, sentant l'amour l'envahir, et l'assurance d'une solitude comblée, où le malheur de sa maladie n'aurait aucune emprise. Lui ne craignait pas de l'embrasser, il ne craignait pas de l'aimer, parce qu'il se sentait plus honteux qu'elle d'être ce qu'il était et que cette femme, qui était encore loin de tout savoir sur son compte, ne l'avait pas repoussé alors qu'il était un gracien de la division Blanche. Tous deux se trompaient sur les sentiments de l'autre, chacun s'imaginant être le fardeau, alors que les deux se sentaient honteux et soulagés de ne pas devoir continuer ; l'un sans l'autre. De là, l'amour naissait et ne périssait pas, un besoin impérissable de soutien, dans la douleur et l'épreuve, la maladie de l'une et la rédemption de l'autre.

Nous allions charger, et nous battre, parce qu'il n'y avait plus que ça à faire. Batz était déjà prêt, et se mettait en position en soulevant son impressionnante épée au-dessus de sa tête. Moi, je n'avais pas le même élan qu'il semblait avoir, j'étais prêt, mais je pressentais qu'il ne fallait pas, je ne me sentais pas pleinement confiant, et ce sans vraiment savoir pourquoi. Cependant, le dôme de sable se désagrégea sous nos yeux à tous, laissant apparaître Nina, et Joachim derrière lui. "Il était temps", me disais-je intérieurement à moi-même en laissant échapper un sourire. La blondinette marquait un arrêt, et on entendit un petit cri s'échapper d'elle, quand elle découvrit le carnage qu'avaient laissé les graciens avant notre arrivée. Il était vrai et hélas, que la guerre ne s'apprenait point dans les livres, ni dans le silence des retraites. En faire l'expérience d'aussi proche, n'était jamais sans étonnement et la dureté du caractère n'y changeait rien. Joachim ne la laissait heureusement pas s'éterniser sur cette macabre scène, "Aller !" lui ordonnait-il pour la réveiller, et elle s'enfuit rapidement vers l'arrière, où elle trouvait la petite Jill, complètement amorphe et recroquevillée sur elle-même. Voir Nina saine et sauve ravivait un peu l'enfant, qui se laissait prendre dans les bras de Nina, qui découvrait les marques sur son visage et son état. Elle ne lui dit rien, et se contenta de l'envelopper de son corps. Jill voulait malgré tout, maintenant qu'elle se sentait un peu moins déboussolée, voir ce qui se passait au-delà du rocher et emprisonnée dans les bras de Nina, elle dressa un peu la tête par-dessus le rocher pour y voir. Nina aurait voulu lui dire quelque chose, la rassurer, trouver les mots justes, mais elle se sentait impuissante, et n'aura su lui offrir que cet ultime geste d'affection dans le silence, en attendant que les Batz, moi et Joachim, puissions enfin faire demi-tour.
Les graciens n'intervinrent pas. Cela aurait déclenché de facto un affrontement, dont ni eux ni nous n'étions certains de sortir vainqueur. Nous étions maintenant numériquement égaux, mais je ne connaissais pas le talent de Joachim, alors je ne comptais pas vraiment dessus. Naalad commentait la scène d'un "enfoiré !" sans agir plus que cela. Les deux autres observèrent silencieusement, restant sur leurs gardes.

De l'autre côté dans le camp, un vieil homme attendait qu'on le fasse entrer. Fugand et Kumiko se sentaient relativement éloignés de cela, quoique la jeune Sombre était plus fébrile à l'idée de devoir être témoin de la scène que pourrait faire Zö. Lucy regardait un moment Bohémon, une façon de le questionner dans le silence, et celui-ci lui répondit tout aussi silencieusement d'un hochement de tête. "Fais-le entrer s'il te plaît", dit-il au garde après cela d'une voix posée, et le garde s'exécuta. Zö entrait dans la pièce, le visage inquiet, mais pas accablé, pas encore.
-Je suis désolé de vous déranger, je voudrais juste demander à Lucy si elle n'aurait pas vu Jill. Elle est de plus en plus aventurière et personne n'a su me dire où elle était, je suis allé voir où nous allons cueillir habituellement et elle n'y est pas non plus. Finit-il légèrement crispé.
Zö, vit alors tous les visages grave devant lui, les visages qui annonçaient qu'il n'allait pas lui plaire d'avoir à entendre la réponse qui l'attendait. Le mensonge n'est pas si aisé pour la plupart des gens, quand il s'agit de devoir dire une évidence, le mensonge est une des constantes nécessités de la vie ; sans le mensonge, il n'y aurait au monde ni art, ni beauté, ni amour. Mais ces mensonges-là se savent mensonges, le mensonge dans le visage d'un homme peut se lire, s'il se sait lui-même mensonger. L'intention de Lucy qui se sentait un devoir de répondre, était un habillage de la vérité, pour éviter que Zö ne s'emporte. Les mots justes, pour une réaction juste, étaient, comme très souvent, la finalité du mensonge.
-He bien... Commençait-elle sans conviction alors que la panique sur le visage de Zö se lisait déjà.

Sur le facies de Zö s'inscrivait la fatalité, mais au-dehors, un puissant brouhaha intervenait pour attirer l'attention de chacun. Une dispute, un homme, plusieurs hommes, une femme, plusieurs femmes, qui se querellaient avec le garde présent. La voix du garde qui s'étouffait sous celles de ceux qui jouaient d'invectives sur sa personne inquiéta les cinq personnes présentes. "Je vais voir" dit calmement Bohémon qui se levait pour se diriger vers la sortie. Fugand et Kumiko l'accompagnaient, alors que Zö, suivant du regard Kumiko qui ne lui avait toujours pas répondu, n'insista pas pour les suivre lui aussi. Il redoutait finalement tellement la nouvelle qu'on allait lui annoncer, qu'il préférait la repousser. Cela ne l'empêchait pas de voir dans les yeux de Lucy lorsque celle-ci croisait son regard, toute la gravité de la situation qui pesait sur chacun d'entre eux.

Dehors, une petite foule s'était réunis-là, surtout des familles. On retrouvait, entre pères et mères, quatre des enfants qui étaient revenu au camp pour prévenir des malheurs de Nina et Joachim. Ignorés dès qu'ils livraient leurs informations, ils ont couru à leurs parents pour le leur répéter, créant un relatif mouvement de panique. La foule s'épaississait et bientôt, tandis que Bohémon, Lucy, Zö, Fugand et Kumiko se retrouvaient devant elle, on ne pouvait plus déceler la moindre phrase dans le bruit ambiant. Bohémon se savait, ou du moins se jugea responsable de la situation, il avait en effet oublié les enfants et n'avait pas pensé à devoir rassurer les résidents de son camp avant d'entamer une réunion en vue de prendre la meilleure décision. Jamais la voix de Bohémon n'aurait tonné assez fortement pour passer au-dessus d'eux-tous, il était bien trop faible pour le faire. Le garde essayait bien de calmer tout le monde, mais n'y arrivait clairement pas. Cela durait quelques secondes, jusqu'à ce qu'un homme, tenant son jeune fils par l'épaule interpellait directement le Roi Lépreux.
-Bohémon ! Mon fils m'a dit que les graciens étaient là ! Nous savons tout ! Il y a des parents inquiets pour leurs enfants ici, certains ne sont pas revenus ! Tu comptais nous le dire quand au juste ?
Nul dans le camp n'aurait touché à Bohémon, il avait encore le respect de chacun. Alors, quand le père s'adressait directement à lui, on entendit dans la foule quelqu'un hurler "laissez-le répondre bon sang !", "Oui ! Dis-nous Bohémon !" Hurlait alors un autre.
Le visage de Zö devint blafard et effrayant, car pas dupe, il comprenait soudainement la gravité de la nouvelle que devait lui annoncer Lucy. Il tournait un regard grave et accusateur sur elle, qui ne pouvait que baisser les yeux devant les siens alors même qu'elle n'était pas responsable.
-J'étais en train de chercher la meilleure décision à prendre à ce propos. Répondit calmement Bohémon. Nous avons envoyé des hommes pour aller chercher vos enfants. Nous attendons maintenant qu'ils reviennent. Je vous promets que je fais ce qu'il faut pour que vous restiez tous en sécurité.

Le calme dont faisait preuve Bohémon impressionnait Fugand et Kumiko. Ils connaissaient plus d'un chef qui aurait élevé le ton, crié sur tout le monde pour les mettre au pas, ou bien qui se retrouverait complètement paniqué devant la masse qui hurlait. Bohémon avait alors, aux yeux des deux adéniens, véritablement la dignité d'un roi. Il se tenait droit devant tous ceux dont il avait la responsabilité, et leur faisait face sans s'abaisser d'aucune façon. Sa voix écrasait de sa noblesse, non de sa hauteur, les premières appréhensions qu'on lui opposait. Pourtant, Lucy en particulier, remarquait très bien qu'il était épuisé et ne voyait qu'à peine les gens qu'il avait devant lui. Zö se sentait soulagé, mais pas encore complètement rassuré. Sachant Batz absent, il se doutait qu'il était de ceux envoyés pour sauver sa petite fille. Cependant dans la foule, tout le monde n'était pas convaincu par la réponse de Bohémon. Ce que les gens ignoraient, c'est qu'ils faisaient perdre un précieux temps d'organisation à Bohémon et ceux qu'il avait choisis pour l'aider. C'est la pensée qui traversait Fugand, quand il regardait cette foule à la limite du délire, et dont il n'avait pas vraiment cure finalement. À ses yeux ces gens malheureux et inconscients était ce monde complotant constamment contre les braves, comme un combat ancestral - le rugissement de la foule d'un côté - et la voix de votre conscience de l'autre. L'individu dans la foule se laissait rapidement entraîner dans l'hystérie, emporté dans la folie, c'était le risque qu'il fallait surtout éviter.
-Et si vos hommes échouent Bohémon vous ferez quoi ? Demandait le même père en tête de la foule.

Bohémon ignorait encore la réponse et n'ayant que le silence à offrir, C'est dans le plus profond silence qu'on entendit ce que disait le silence, à savoir l'ignorance. Quelques instants de plus dans le baraquement et il aurait peut-être eu quelque chose de concret à répondre, mais à cet instant, il se savait lui-même incapable de donner une assurance à cette foule que la peur contaminait un peu plus à chaque minute.
-Si vous nous laissiez nous préparer on aurait une réponse concrète à vous donner. Intervenait sèchement et indifférent Fugand.
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