Fracture [BG Cateric]

Modérateur : Shi

Avatar du membre
Cateric
Messages : 48
Localisation : France - Aquitaine

Re: Fracture [BG Cateric]

Message par Cateric » ven. avr. 13, 2018 2:29 pm

Renvoyer d'un coup sec les hommes à leurs propres fautes n'était jamais la meilleure solution. Fugand, ne fit que s'élever les rancunes au-dessus de la peur qui était grandissante. Bohémon, cherchait à créer une cohésion, et devant les brimades que la foule renvoyait à ceux qui se démenaient pour leur sauvegarde, il se résignait à l'idée qu'il ne fallait pas chercher la cohérence dans les réactions humaines. Le monde n'était pas cohérent, les aspirations n'étaient pas cohérentes, les rapports entre les hommes n'étaient pas cohérents. Les émulations provoquées par les anciens discours de Bohémon n'avaient plus d'effet sur les doutes qui saisissaient aux corps tous ces pauvres gens, ces gens qui ne répondaient maintenant plus qu'à leurs instincts. Au sein même de la foule, dans le brouhaha, on distinguait la dissension se profiler comme un abîme, une fracture, un gouffre, qui se creusaient entre ceux qui voulaient encore faire confiance à Bohémon, et ceux qui déclaraient déjà vouloir partir. Les cinq personnes face à elle ne pouvaient rien dire, on ne les aurait ni écouté ni entendu. Pour Fugand ce n'était rien, le camp n'était pas le sien et il comptait le quitté dès qu'il en aurait l'occasion. Kumiko était plus attentive, et passionnée jusqu'au bout des ongles, tentait de ramener l'attention vers elle, pour dissuader ceux qui voulaient partir de le faire.
-Mais vous êtes fou ! Où irez-vous ? Mais écoutez enfin !
Mais personne n'écoutait. Lucy et Zö se regardaient pendant ce temps. Ils se connaissaient depuis si longtemps et avaient accompli tant de chose ensemble, que Zö, bien qu'effrayé, ne pouvait que s'en remettre au jugement de Bohémon qui les avait mené et gardé en sécurité jusque-là dans un conflit sanglant qui n'épargnait personne. Bohémon était en réalité bel et bien résigné, jamais il n'avait forcé qui que ce soit à le suivre et n'allait pas commencer maintenant. Cependant quand ceux qui voulaient partir réclamèrent des provisions pour leur voyage, leur fuite en somme, les esprits s’échauffaient d'autant plus. Une étincelle, une seule, qui embrasaient les passions et réveillaient les vieilles horreurs, celles des graciens qui marchent sur les villes, villages et cités, et voilà que la foule sombrait. Un meneur pour lancer quelques slogans bien percutants, ce père de famille à la voix portante, et la foule se rappelle qu'elle n’a pas d’autres lois que les exemples de ceux qui commandent.

Le stock de vivre appartenait au camp, et cela Bohémon n'y dérogerait pas. On le vit se dresser un peu sur lui-même malgré la douleur, et regarder froidement le père du jeune garçon qui menait la danse contre lui, accompagné en plus de sa femme encore enceinte qu'il s'estimait un devoir d'éloigner de cet endroit qui devenait trop dangereux à son goût. Ils n'étaient qu'une cinquantaine à le suivre dans sa folie, mais c'étaient cinquante bouches de moins à nourrir, pensait avec pragmatisme Fugand. Voyant que l'échauffement dégringolait vers l'altercation et que les hommes d'armes présents n'arrivaient pas à séparer ceux qui allaient en venir aux mains, Zö fit quelques pas en avant, très calmement. Cela étonnait Lucy, qui ne l'avait jamais vu d'un air si ferme et décidé, lui qui n'était d'ordinaire que simplicité et tendresse. Il lui sembla être un tout nouvel homme et sa vieillesse passait pour le montrer rajeuni par un affermissement de sa personne. Il dépassait Fugand, puis Bohémon qui n'était pas moins étonné que Lucy, puis arrivait vers Kumiko, qui s’époumonait toujours à tenter de calmer les résidents. Là, il posait une main ferme sur son épaule pour l'inviter à cesser de crier pour rien, puis lever l'autre main, dont un halo scintillant chatoyant jaillit, une décharge de magie en suivit et le silence fut imposé à la foule par un sortilège. Ce fut un choc pour la foule, mais surtout pour Bohémon et Lucy. Stupéfaits d'apprendre finalement que Zö était un mage guerrier, certainement de très longue date car ils le connaissaient depuis des années.
-Ici la liberté prime sur tout, ceux qui veulent partir le peuvent, imposa de sa voix ferme le vieux Zö. Mais les provisions du camp appartiennent au camp. C'est Bohémon et les hommes d'armes qui les ont trouvés, aucun d'entre-vous. Si vous nous prenez ces provisions c'est du pillage et vous ne valez pas mieux que les graciens.

Et d'un. Se disait intérieurement Fugand en souriant. J'avais ressenti quatre manas, Fugand en découvrait un et c'était un soulagement pour lui, comme pour Kumiko, quoique cela soulevât beaucoup de questions, de savoir qu'il s'agissait d'un des résidents et non d'un Gracien caché dans le camp. Zö fit un autre geste de main, et chacun dans la foule retrouva sa foi. Couper les cordes vocales d'autant de monde exigeait un énorme talent, et laissait comprendre pour tous qu'il était un mage à ne pas prendre à la légère.

L'argument de Zö, sa démonstration de magie, et le soutien des parents qui attendaient le retour des enfants qu'ils ne savaient déjà mort, eurent raison des réclamations de ceux qui désiraient partir. Cependant le père de famille continua, plus posément, d'affirmer qu'il partait, suivi par la cinquantaine qui était déjà convaincue avec lui de devoir le faire pour éviter que les graciens ne les ravagent en arrivant au camp. Absudité, quand on savait que nul ne pouvait affirmer que la division blanche était déjà en route. Mais la peur n'est pas bonne conseillère et supplante tant la raison que les bonnes intentions. Bohémon et Lucy n'eurent d'autres choix que d'accepter, et de voir partir ces personnes avec tout ce qu'elles possédaient. La tristesse au coeur, ils montèrent vers le nord, à l'opposé de la direction vers laquelle les enfants avaient croisé les graciens, ainsi, sans le savoir, ils se jetaient dans la gueule du loup.

Loin dans le nord, pas si loin en fait, Shigurui avait déjà divisé sa division pour que chacune des cohortes prennent le chemin le plus rapide vers le campement et opère dès leurs arrivées un encerclement. Il avait donc un effectif réduit, mais pouvait tenir une bonne heure de combat avant d'être rejoint en cas de problème. L'échelon des corps appliqué à une division en somme, en réduisant l'écart des temps de trajets entre les cohortes à une heure plutôt qu'une journée. Cela permettait de rendre les déplacements de sa division difficilement prévisible et de moins facilement jauger son effectif. Il ne comptait pas envoyer directement ses hommes au combat, plusieurs heures de marches ajoutées aux heures de combat précédentes, et il tuerait beaucoup d'hommes inutilement. Lui qui n’aimait pas le gâchis considérait la valeur du sang avec intérêt. Une nuit de plus autour du camp, pensait-il, ne changerait pas les moyens qu'avait à disposition le camp qu'il s'apprêtait à frapper.

Les chants de la mère aimante berçaient les horizons fantasques de la jeunesse innocente pendant ce temps chez les fuyards du camp. Un Amour au creux des bras et du sein nourrissant pour masquer les ténèbres d'Elmoraden, un déclin, qui brisait l'onirisme utopique d'une espèce enclavée dans les malédictions qui paraissaient devenir, au temps passant, sempiternelle. Une Haute famille que celle de l'homme qui conduisait cette fuite et l'avait initié, fidèle parmi toute à la dignité impériale autrefois, qui se verra sacrifiée sur l'autel de la haine aux ennemis ancestrale. Gracia, hommes corrompus à leurs vues, malédiction de l'ouest, et l'enfant choyé finit entre les mains de cette corruption, le sort en fut jeté, mais ce sort ne fut pas décidé par qui se pensa au-dessus des lois de la causalité, du destin, de la volonté et de la loyauté... Il ne suffisait pas de torturer le cœur et l'âme pour faire de l'innocence une démonie. Cet enfant, Eintaris, s'il avait su ce qui l'attendait, n'aurait certainement pas, avant de partir, raconté ce qu'il avait vu à ses parents.

Ce que les graciens commandés directement par Shigurui firent, et ce qu'ils n'auraient pas dû faire, c'est de ne pas jouer avec l'enfance comme on joue avec une balle. C'est de ne pas briser la psyché comme on brise la vitre d'une fenêtre. C'est de ne pas croire en la docilité, comme on dresse celle d'un chien. L'être, dans son ensemble est à la naissance une coquille à peine rempli, qui se comblera de la somme de ses expériences ; et bien peu sage celui qui pense pouvoir prévoir ce que le monde peut faire d'un individu, tant la somme de toutes ces influences, sont susceptibles à chaque essai, d'engendrer une parfaite unicité de l'être. L'unique, est, sa propriété, au monde. Ainsi se régit, une loi naturelle de l'existence, de la vie, et du temps.

La guerre, fléaux du temps et de l'âge, poursuivant la pureté par-delà les mers et les océans, ne devaient jamais rompre l'équilibre psycho-affectif de son premier fils, s'exclamait le digne père sur son bel-enfant, quand il le voyait dormir sur les genoux de sa mère. L'enfant, prit d'un amour immensurable, une fierté familiale, n'avait alors conscience de quelles brutales et tristes vérités l'on cherchait à le couper. Il eut donc le loisir de grandir, jusqu'à du moins ses huit ans, dans le cocon familial idyllique et idéal, comme tous ceux qui n'avaient pas connu l'enfance joyeuse, l'auraient souhaité. Le père n'était pourtant pas sans lucidité, et n'ignorait pas quelle torpeur pesait sur les siens, tout autant, sinon plus, que le danger qui courrait la nuit et le jour, dans les contrées aussi sauvage que civilisée d'Elmoraden. C'est pour cette raison que lorsque l'armée Impériale commençait à s'effondrer, il quitta son village pour rejoindre le camp de Bohémo,, qu'il croyait être le dernier relent de sécurité existant.

Mais comme si souvent dans les mondes où la violence est monnaie courante, où les institutions sont archaïques, où les idéaux raciaux poussent à l'autarcie, l'étatisme, et au mutisme social, le destin, la main des esprits que l'on ne saisissait pas, et que l'on nommait sous bien des noms, avait choisi un tout autre chemin pour l'enfant Eintaris Haladän Fachft. La guerre, monnaie courante, toujours, fut si longue qu'elle en devint synonyme de banalité. Ce voyage conduisit finalement la famille loin dans la vallée désertique des saints, qu'il espérait traverser pour atteindre au terme d'un très long chemin la cité de glace, pour le moment encore à peu près épargnée par les combats entre les graciens et les elmorediens.

Par son lourd sommeil, Eintaris fut épargné des premières horreurs de la vérité du monde. Il n'oubliera pas qui sait, plus tard, de remercier sa mère pour la potion de sommeil qu'il reçut peu avant cette journée tragique. Car la candeur ne durerait pas, où dans leurs marches, les graciens de la division blanche guettaient les occasions de pourfendre, de dévorer et de massacrer les êtres pour lesquels ils avaient une aversion totale et quasi génétique. Faire des prisonniers oui, mais la guerre était aussi l'anéantissement de l'ennemi. Une résistance virulente fut orchestrée par les fuyards, qui n'aura eu d'héroïque qu'un triste récit bien trop sale pour en faire l'étalage. Eintaris, alors découvert dans son sommeil, fut comme une occasion bénie pour les graciens, qui trouvèrent là, selon eux, le moyen d'envoyer un message clair au camp. Shigurui en était l'habile initiateur.
Emporté là, loin de chez lui, au gré des massacres perpétués sur des humains et des elfes, et des orques, et des Sombres, l'enfant risquait fort bien de découvrir trop brutalement de quel malheur son espèce fut la semence. L'enfant se trouvait les mains attachées dans le dos avec une corde, balancé sur le dos d'un cheval au pas, avec les jambes attachées, elles aussi, à la selle par une corde. Il avait un sac sur la tête, qui lui masquait la vue, et qui lui étouffait le bruit. Il avait peur, son instinct ne lui commandait qu'une seule chose ; "gagne du temps..." Mais la réflexion à cet âge se limite à la primitivité de la survie. "Gagne du temps... Où suis-je ? Qui sont-ils ? Où sont mon père et ma mère ?" Et l'expérience de la peur entamait les premiers contrecoups de ses conséquences sur le cœur pur et innocent de l'enfance. Il tremblait, il transpirait, la paralysie ne déclenchait pas qu'une catalepsie du corps, mais provoquait jusqu'à l'asphyxie de la pensée. Le souffle haletant était la seule expression dont fut alors capable le petit homme, captif des graciens. Les larmes ainsi, coulaient malgré lui, sur ce petit être, qui n'était plus qu'une proie, une proie reléguée au rang de jouet du vice et de la servitude en un instant.

Autour de lui, il entendait des mots, des mots qu'il ne comprenait pas. Il entendait les sons, des sons qu'il ne connaissait pas. Son sentiment premier, une profonde solitude. La solitude, tout l'enfer est dans ce mot, dans l'autre et dans le corps, la solitude rompt la sensation de sécurité et fait se plonger en soi, comme pour, par dissociation de l'être, trouver au tréfonds de son cœur l'ami qu'il nous manque pour nous sentir bien. Ainsi réagit-on lorsqu'on est trop tôt extirpé de son cocon. Cette langue étrange qui n'était pas la sienne l'effrayait d'autant plus, que certains mots lui avaient été contés par ses parents comme l'expression du blasphème à ne jamais commettre. Des minutes durant l'enfant chevauchait sans savoir où il allait, et sans oser le demander non plus. Lui, et une trentaine de graciens, débouchèrent à la lisère d'une forêt, une forêt qui lui aurait été familière s'il n'avait pas eut un sac sur la tête pour la lui masquer. Il sentait alors que le cheval s'arrêtait, enfin, et quelqu'un vint lui détacher les jambes. Il le saisit par le col, porté comme un sac, il finit après quelques pas, finalement, jeté violemment au sol.

Il tombait dans la boue, la peur devenait insupportable, et le faisait passer à la frontière de la folie, jusqu'à provoqué chez lui l'aphasie. À genoux qu'il était, il se trouvait gisant comme prostré, jusqu'à ce qu'enfin, on lui ôtait le sac qu'il avait sur la tête. Il découvrait cette petite prairie, pas très loin de vallée des saint et qui n'avait rien du palais enchanté de ses rêves d'avant. Devant lui, se tenait un homme de haute stature, qui imposait par sa seule présence tout le respect dû à la dignité de la noblesse. Un paradigme étrange, quand on pressentait en lui aussi, tout ce que le vice et le mal avaient de nuances monstrueuses. Le silence autour de l'enfant s'imposait d'abord, quand lui, remarquait la trentaine d'individus qui lui paraissaient totalement différents, et pourtant aussi semblables et étranges. Il n'osait toujours pas prononcer le moindre mot, la paralysie continuait d'opérer. Et sur le visage de l'homme qui se tenait debout devant lui, on lisait la froideur jubilatoire et forcée qu'il faisait s'écraser sur le corps frêle de son otage. Le silence durait, mais l'inaction ne suivait pas. Le gracien brandissait la main, et pointait du doigt sa gauche... Alors Eintaris tournait le visage à sa droite, et là, ses yeux s'ouvrirent en grand, sa bouche, suivait du même mouvement... Il y avait là un arbre, un très grand arbre, un arbre mort et sans feuille, sur de nombreuses branches, y pendaient des cadavres elfiques et humains. Vêtu en haillons, déformés par la douleur, la torture, la peur, et l'horreur. On y voyait et entendait les corbeaux, qui se délectaient de la chaire pas encore pourrissante. Tous les pendus étaient morts, sauf une... Une femme enceinte, qui gesticulait des jambes, etouffée peu à peu, au rythme de ses sanglots qu'elle ne pouvait retenir. Eintaris voulu alors détourner le regard, car ce qu'il voyait pendu, le hasard fit que c'était sa propre mère, mais le gracien face à lui l'y obligea en faisant tonner sa voix grave.
-Si tu ne regardes pas, je te ferais pendre avec eux sur cet arbre.

Alors l'enfant regarda, il regarda, jusqu'à s'uriner dessus. La femme pendue à la mort, accouchait tandis qu'elle trépassait. Autour de Eintaris, on entendit quelques rires, mais rien de semblable à des éclats, ce n'était qu'un "petit jeu entre amis". Et lui, pauvre enfant, regardait toujours, parce qu'il avait peur, de ne pas regarder... La pauvre malheureuse ne pouvait même pas hurler, car le peu qu'elle arrivait à lâcher était entravé par la corde qui lui serrait la gorge. Cela durait longtemps, très longtemps... Le gracien qui lui avait ordonné de regarder était d'autant plus intéressé par les réactions de Eintaris. Il y trouvait un certain plaisir, à le voir trembloter des genoux dans la boue, trempé par sa propre pisse. Jusqu'à ce qu'un bébé tombât de sous la robe de la femme, accroché au cordon ombilical, dernier lien l'unissant à sa mère maintenant bel et bien morte d'épuisement et de douleur. On entendit naturellement le bébé pleurer, pleurer à chaudes larmes dans la boue et le sang. Le placenta suivait en lui tombant dessus, et Eintaris regardait toujours, l'esprit embrumé par il ne savait plus quel tourment.
-Regarde-moi maintenant. Ordonnait à nouveau le gracien.

Et Eintaris tournait le regard tel qu'on venait de le lui ordonner. Il vit ces yeux hauts sur lui, sans compassion, mais ardent d'un désir morbide et malsain. Il écoutait, docilement, les mains toujours attachées, car il n'avait que ça à faire... À côté, il entendait toujours les cris du nourrisson qui venait de naître, mais qu'aucun des graciens ne semblait vouloir, faire, taire. Bien au contraire, ils l'ignoraient tout simplement.
-J'ai toute ton attention ?
-Oui... Répondit Eintaris dans un sanglot.
-Doit-on tuer cet enfant ? Ou le laisser vivre ? Demandait froidement ensuite le gracien.

Eintaris sentit l'intérieur de son corps en ébullition, le plexus vibrer sous il ne savait quelle violence incontrôlable. La décision de la vie d'un bébé lui appartenait, mais alors, malgré lui, il ne cherchait pas la réponse la plus juste, la plus noble, il cherchait la réponse qui assurerait sa propre sécurité. La pression qu'il sentait sur ses épaules risquait à tout instant de lui faire perdre tout le sens du bien commun, qui se trouvait déjà bien fragile à son jeune âge. Ses lèvres tremblaient, il claquait des dents tandis qu'il cherchait dans le regard du gracien la réponse qu'il attendait. Mais ne parvenant pas à y trouver quoi que ce soit tant le marbre et le voile sur son visage opacifiait toutes les possibilités d'empathie à son encontre, Eintaris se sentait désarmé. Tardant à répondre, un légionnaire vint en marchant derrière lui, pour lui écraser la tête dans la boue. Le bébé pleurait encore, et malgré que la tête de Eintaris y fut plongée jusqu'aux oreilles, la boue ne suffisait pas encore à étouffer le son des cris du nourrisson qui le prenait au corps comme autant d'expressions de la peine qu'il devait accepter d'entendre.
-Si tu tardes à répondre, tu les y rejoindras vermine. Lui dit alors froidement le légionnaire tout en retirant le pied de sur sa tête.

Eintaris relevait le regard sur celui qui lui faisait face, désormais glacée jusqu'au os, et le visage couvert de boue. Le gracien lui esquissait cette fois un sourire, compatissant... Il se penchait un peu sur Eintaris, Eintaris qui sans grimacer, laissait pourtant couler à flots toutes les larmes que pouvaient contenir ses yeux, comme autant de saignement du cœur. Le gracien lui saisit délicatement la joue, comme un geste de tendresse qui contrastait totalement avec le ton qu'il avait imposé jusque-là.
-Face à la mort, il ne faut pas mentir. Et, je suis, pour toi, maintenant, la mort. Alors, lui laisse-t-on la vie, ou devons-nous l'abréger ? La vie ou la mort ? Réponds tout de suite.
-La mort... Répondit Eintaris comme un réflexe qu'il n'avait su contenir.

Le gracien ne dissimulait pas sa satisfaction. Le sourire qui n'était jusque-là qu'une esquisse se prononçait désormais plus sadiquement. Avec le pouce, il débarbouillait un peu la joue d'Eintaris, complètement docile et terrifié finalement. L'enfant n'en éprouvait pourtant pas moins de terreur, de honte, et le flot d'émotions qu'il ne savait saisir, n'en était pas moins troublant, à tel point, qu'il n'était plus très sûr lui-même si ce qu'il venait de faire était bien, ou mal...
-Brave petit. Concluait le gracien.

Le gracien relevait le regard vers l'un des siens, et lui fit un tout autre sourire en l'invitant, d'un coup de tête vers le bébé encore larmoyant, de s'y rendre pour achever la besogne. Le légionnaire qui reçu l'ordre sortait une dague et se dirigeait alors vers le nourrisson. Tandis que son maître, saisissait fermement le menton d'Eintaris, pour lui tourner la tête vers la scène. Là, il vit le bébé se faire couper cordon qui le reliait à sa mère. Il ne pleurait toujours, et Eintaris, honteusement, se savait-il déjà, était soulagé d'entendre encore ses cris... Le gracien, qui lui tenait toujours le menton, lui retournait enfin le regard sur lui, et se redressait après l'avoir lâché.
-Je suis Shigurui. Et toi ? Lui demandait posément le gracien.
-Eintaris Jelaïyllde Haladän Fachft. Répondit bassement le petit homme.
-Tu sais où son tes parents ? Continuait le gracien.

Eintaris ne fit que secouer lentement la tête pour signifier qu'il l'ignorait. Les yeux grands ouverts, comme si le temps et l'espace lui furent un instant suspendu.
-Ils sont mort. Ils sont tous morts, toi et ce bébé, c'est tout ce qui reste.

Et Eintaris, qui bien que jeune n'était stupide, comprenait que sa famille, passée entre les mains de ces monstres qu'il découvrait, n'était plus... L'innocence fut ainsi rompue, mais pas tant que cela. Imprégné d'une haine lancinante, le garçonnet se savait maintenant devoir survivre dans un monde qui n'était pas le sien. L'instinct de survie, primait sur les incapacités des jeunes âgés, et déjà, la bonté en lui devenait la source de son désir de vengeance, un désir, qui bien qu'existant, n'était pas encore clairement défini certes dans son esprit, mais cela n'allait pas tarder. Shigurui, ordonnait ensuite à son légionnaire d'apporter le bébé, pour le remettre dans les bras du petit garçon. Là, le chef de guerre perdit son sourire, et devint tout à fait glacial.
-Vous étiez du camp de la cité de la joie. L'un des hommes me l'a dit. Tu sauras y retourner ?
-Oui... répondit tristement le garçonnet.
-Ce bébé que tu avais condamné. Ramène-le là-bas. Et dis leur bien que s'ils ne se rendent pas, ce bébé sera l'unique survivant de ce camp. Entendu ?
-Oui...

Shigurui savait alors, et c'était son espoir, que voyant l'horreur et le traumatisme dans les yeux d'Eintaris, les résidents du camp sauraient qu'il ne plaisantait définitivement pas.
Image

Répondre